Anne GILAIN, Le prof qui donne l’amour du livre, VLAN DIMANCHE, 12 septembre 1999.

Le prof qui donne l’amour du livre

Frank Andriat, professeur à l’athénée Fernand Blum, est écrivain.
Il apprend la vie à ses élèves comme à ses jeunes lecteurs.
Dans ses cours de littérature, il invite les élèves à la lecture.
Par des moyens détournés comme la rencontre d’un invité.
«Leur faire découvrir que, derrière un livre, il y a un homme,
que l’univers un livre est celui de l’humain.» Que le livre
n’est pas seulement du papier, mais de la chair et des sentiments.

«Beaucoup n’y croient pas au départ, mais les résultats sont là», raconte Frank Andriat. «Une année, ils ont écrit une lettre au bourgmestre pour lui faire part de leur avis sur la commune, ce qui a débouché sur une rencontre. Une autre fois, ils ont contacté des personnalités comme Ilya Prigogine ou Jack Lang, ce qui a abouti à la rédaction et à la publication du Petit alphabet de la démocratie. Quelque chose est enclenché qui ne se perdra pas.»
Pourquoi cette démarche ? «Le déclic s’est opéré lors de ma première année d’enseignement, à l’école technique, pour un cours de latin avec des élèves pour la plupart plus âgés et plus costauds que moi. Un peu la zone. Si je restais traditionnel, je me faisais jeter. J’ai donc appris la nécessité du dialogue. Et à être moi-même. Ce n’est ni du laxisme, ni de la permissivité, mais un équilibre difficile. En étant transparent, l’on peut être efficace. Chacun joue un jeu, mais l’important, pour chacun, est de voir où sont ses limites. De prendre ses responsabilités au sein du groupe. Les élèves apprennent à se découvrir, à parler, mais dans un système.»

Romantiques, surtout les durs !
La littérature suit. Son nouveau livre Rue Josaphat parle de ce que Frank Andriat connaît bien. Le quartier où il a passé toute son enfance, son évolution suite aux vagues d’immigration, les réactions de la population qui s’adapte ou non, l’extrême-droite, la délinquance. Surtout, un portrait des jeunes d’aujourd’hui. «Toujours romantiques, surtout les plus durs.» qui souffrent, qui espèrent, qui se laissent porter, qui aiment. Qui font des bêtises. Des jeunes ordinaires, comme les élèves de l’athénée, à qui les différentes cultures d’origine ne posent fondamentalement pas de problème. Pour autant, Rue Josaphat ne verse pas dans l’angélisme politiquement correct. L’on y croise aussi des ados immigrés agressifs, repliés sur eux-mêmes, «parce qu’ils ont trop l’habitude de se faire rejeter. Une réalité minoritaire, qui peut déboucher sur le nationalisme et l’intégrisme.»
L’auteur ne rate pas sa cible. «Les ados l’ont aimé car ils s’y reconnaissent vraiment.» Même si Frank Andriat édulcore quelque peu leur langage «car ils ne supportent pas de voir les gros mots qu’ils emploient d’habitude imprimés dans un livre…»
«Ce livre, c’est un pari optimiste sur l’avenir», reprend Frank Andriat. «La société sera comme cela; Nous assistons à une mondialisation de l’économie, pas de l’humain, qui ne rapporte rien et est de plus en plus mis sur le côté. En excluant toujours plus, l’on ne peut qu’arriver à une explosion.»
Écrire et enseigner sont des actes d’amour. «Écrire ce livre est une façon de dire : vous existez, je vous aime bien. Je vous reconnais en tant qu’êtres humains appartenant à une communauté à laquelle j’appartiens aussi.»

Anne GILAINVLAN DIMANCHE, 12 septembre 1999.

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