Bob Tarlouze

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Bob Tarlouze…

Mon nom fait sourire et je me suis souvent demandé pourquoi… C’est Mohamed, mon pote, qui m’a révélé le pot aux roses. «Le poteau rose», diraient les mauvaises langues. Il y a longtemps que je n’écoute plus les rumeurs.

J’ai des amis homosexuels, hétérosexuels et littérotextuels. Le monde est mon village grâce au regard aimant de Najmah, ma nounou afghane, qui m’a appris à voir les autres en beau. Parce que Johnny, mon père, de son vrai nom Fernand Tarlouze, voit plutôt tout en rouge sang ou en noir. Le genre de mec qui a remplacé sa cervelle par un ballon de foot et un verre de bière. Il n’apprécie pas la panthère rose que j’aime tant.

Bob Tarlouze…

J’ai appris à aimer mon nom qui fait sourire. Il crée entre les autres et moi la distance de l’humour.

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Ma passion : les enquêtes policières. J’ai résolu ma première éngime à quinze ans, au collège quand Baratin, mon prof d’anglais, a été retrouvé égorgé dans sa classe, le corps tourné vers La Mecque.

J’ai pris mon pied et j’ai réussi à me faire valoir auprès de l’inspecteur Rivière que j’ai aidé dans son enquête. Je me souviens de cette aventure comme si je l’avais vécue hier : Zorb l’horrible prof de maths, la trop fragile prof d’histoire mademoiselle Fernières et mon camarade La Fouine qui entamait son existence d’arnaqueur haut de gamme !

Johnny m’a observé avec des yeux de carpe rôtie quand ma photo a été publiée en gros plan dans sa gazette préférée. Pendant quelques minutes, son fils est devenu quelqu’un pour lui ! Mais, chacun le sait : si l’on veut vivre heureux et en paix, il ne faut pas chercher à briller dans le regard de l’autre, il suffit de vivre en amitié avec soi-même.

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J’aime le boudin-compote. Pour le côté croustillant du boudin qui craque sous la langue et pour l’onctuosité tendre de la compote tiède qui glisse dans la bouche comme un baiser. La vie, c’est un boudin-compote : elle caresse et elle croque.

Lorsque tout baigne, ça ne dure jamais trop longtemps et lorsqu’on se trouve dans la misère, celle-ci aussi finit toujours par passer. Mes différentes enquêtes me l’ont appris : l’existence n’est pas un long fleuve tranquille et, pour conserver l’équilibre, il faut apprendre à suivre la vague.

À propos du boudin-compote, un bémol cependant. Quand ma mère m’en préparait, j’aurais voulu qu’elle n’en cuisine que pour moi. Lorsque Johnny était à la maison, c’était la galère. Il ne mange pas, il bouffe et il peut avaler six boudins sans proférer un mot. Il est mon père, d’accord, mais il mange comme un dégueulasse. Ça nuisait à ma dégustation et j’aime la vie qui se savoure ! Depuis que j’ai acquis mon indépendance, je m’offre des soirées en solitaire et je me prépare du boudin-compote. Un noir, un blanc et un demi-kilo de pommes que je découpe en prenant tout mon temps : j’aime l’odeur qui s’en dégage et j’aime ensuite les voir se transformer dans la casserole sous l’effet de la chaleur. Pour les boudins idem. Ne pas oublier de les piquer surtout pour éviter qu’ils n’explosent dans la poêle. Je ne devrais pas en parler : ça me donne faim.

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Lorsqu’on s’appelle Tarlouze, ça crée inévitablement des quiproquos. Et moi, pour ajouter une cerise sur le gâteau, je porte le plus souvent possible des vêtements roses. Les gens se créent une idée de mon identité sexuelle avant que j’ouvre la bouche. J’imagine qu’il est inutile de vous faire un dessin. Combien de fois ai-je lu dans les regards des mots peu délicats, combien de fois les ai-je entendus ! Et Johnny, mon père, n’est jamais le dernier quand il s’agit d’en ajouter une couche !

Les gens aiment s’enfermer dans des pensées toutes faites et j’adore les déstabiliser. À celles et ceux qui prennent le temps de m’écouter, j’explique combien j’apprécie la panthère rose et ses aventures rocambolesques. Il arrive pourtant toujours un moment où l’une de mes interlocutrices plus audacieuse que ses amies (les hommes eux n’abordent jamais la question) me demande : «Quant à vos choix sexuels, mon cher Bob, pouvez-vous affirmer que vous êtes à voile et à vapeur ?» J’aime la délicatesse qui fleurit le visage des femmes lorsqu’elles veulent savoir si je suis homo.

Et, là, avec un calme étudié et serein, je réponds, Shakespearien : «Tarlouze or not Tarlouze, that is the question.» Les petites futées sont déçues, mais elles rient pour ne pas déchoir aux yeux de leurs copines. Moi, il y a longtemps que l’opinion des autres ne m’importe plus. Et à ceux qui me cherchent un poil de cul dans les narines, je botte joyeusement les fesses !

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J’aime donc le rose envers et contre tout.  Un beau rose, ça pète et ça embellit la vie.  Le rose, ce n’est pas seulement gay, c’est aussi gai.  Je ne sais pas d’où me vient cette passion.  Certainement pas de Johnny qui honnit tout ce qui est un peu coloré, sauf s’il s’agit d’une écharpe de l’OM.  Pas de ma mère non plus, qui vit entre gris clair et gris foncé.

Mon amour du rose me vient peut-être du souvenir de Najmah, ma nounou afghane qui est devenue médecin sans frontières.  Lorsqu’elle venait à la maison, ma tendre Najmah (c’est la seule fille dont je suis éperdument tombé amoureux, mais elle était trop âgée pour moi !) portait de ces foulards à mettre la déprime en déroute ! Ils me donnaient envie de m’envoler aussi haut que les cerfs-volants de Kaboul et lorsque je le lui avouais, elle riait de bon cœur.  Parmi ceux-ci, il y avait un foulard rose vif, celui que j’aimais le plus.  J’applaudissais lorsque Najmah le portait.  Elle a fini par me l’offrir tellement il me rendait heureux.

J’ose l’avouer : le foulard rose de Najmah est devenu mon doudou.  Qu’est-ce ça a fait gueuler Johnny !  Moi, je m’en fichais.  Lorsque je serrais son foulard contre moi, j’avais un peu l’impression de tenir Najmah dans mes bras et, alors, la vie, je la voyais en rose, mais en rose !