Chabname ZARIÂB

Chère Chabname Zariâb,

Je vous imagine à deux ans, à Kaboul, dans une pièce éclairée par une lampe à pétrole parce que l’électricité, une nouvelle fois, a été coupée, blottie contre votre maman qui vous raconte, à votre sœur et à vous, l’histoire de Rostam et de Sohrâb, principal épisode de l’épopée du Livre des rois.  Vous êtes une petite enfant et peut-être, pendant que votre douce maman parle, jouez-vous avec vos orteils comme elle le décrit dans une des merveilleuses nouvelles qu’elle-même écrivain a tissées avec les fibres de son être.

Je vous imagine, bien des années plus tard, à Montpellier, dans cette France qui vous a accueillie parce que la guerre vous a fait fuir votre pays de chevaux sauvages et de cerfs-volants, votre nation de pierres et de sang.  Vous êtes en terminale, vous avez la rage de vivre, vous sirotez un malibu coco-orange, assise avec une amie dans une boîte de nuit, vous songez à vos parents, à votre papa qui a tout fait, quand vous étiez petite, pour sauver votre poisson rouge, à votre maman qui n’a jamais cessé de vous narrer les beautés et le lumineux humanisme de la culture persane, oui, Chabname, vous êtes assise, là dans le bruit et le souvenir de l’Afghanistan que vous avez quitté si jeune a la saveur d’un sucre d’orge.

Chère Chabname, vous êtes franco-afghane, riche de deux visions du monde, riche de deux cultures, riche aussi de blessures qui ont dû vous construire et vous apprendre que l’autre, quel qu’il soit, a toujours quelque chose à nous offrir.  Avec une tendresse d’oiseau et une fraîcheur juvénile, vous racontez votre parcours, réel et imaginaire, dans votre Pianiste afghan, vous décrivez la grande douleur dont votre pays est la victime depuis de trop nombreuses années et il serait tellement bon, tellement utile que les hommes et les femmes d’ici, dans cet occident si sûr de lui-même, lisent votre témoignage et s’imprègnent du cri que vous y poussez.

Je vous remercie pour ce beau livre et je remercie votre maman, Spôjmaï, pour les nouvelles de terre, de roc, de sang et de fumée qu’elle écrit, pour sa capacité à peindre, avec une pudeur qui invite au respect, la souffrance qui l’habite lorsqu’elle parle de l’amour viscéral qu’elle éprouve pour son pays et pour sa culture, elle projetée soudain, avec votre sœur et avec vous, si loin de ses rêves, si loin de sa nation parfumée de cardamome et de thé vert.  Sans doute lui devez-vous d’être à votre tour écrivain, sans doute les mille histoires qu’elle vous a racontées vous ont-elles donné l’envie d’inventer le parcours de votre émouvant pianiste, sauveur improvisé et pourtant promis au chaos.

Je vous imagine, chère Chabname Zariâb, à Paris ou ailleurs, fermant les yeux et écoutant les notes d’un morceau de piano qui vous raconte votre enfance et les beautés de l’Afghanistan, rêvant de paix, d’amour et de lumière.

Frank Andriat

Chabname Zariâb, Le pianiste afghan, Éditions de L’Aube, 2011.

Spôjmaï Zariâb, Les demeures sans nom et d’autres recueils de nouvelles aux Éditions de L’Aube.

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