Isabelle SORENTE

© Delphine Jouandeau

© Delphine Jouandeau

          Chère Isabelle Sorente,

          Tout au long des 536 pages de votre beau roman La faille, vous m’avez invité au vertige, vous avez, en bonne laboureuse, retourné mes terres intérieures. Il suffit de quelques paragraphes pour se laisser prendre (comme une femme prend un homme dans son cœur, comme un homme prend une femme dans son corps) par l’émoi qui parcourt avidement vos phrases. Vous donnez faim, vous donnez soif et votre lecteur, avec un pincement au creux du ventre, suit le parcours de votre Lucie qui, malgré son prénom de lumière, est confrontée aux ombres les plus compactes de la vie.

          Grâce à l’élégance ailée de votre plume, je suis passé de vertige en vertige en fréquentant les âmes déshabillées de vos personnages humains, si humains, prisonniers de leurs délires, de leurs blessures, de ces failles qui les rendent hommes et femmes et qui, cependant, les déconstruisent. Votre roman est parsemé de présences fragiles, comme des coquelicots au bord d’une route, qui affrontent le moins mal possible leur destin. Vous avez le don pour exprimer, au plus profond, le mouvement des âmes, des cœurs et des corps en des tourbillons teintés de mille nuances de noirs. Je me suis laissé aspirer par vos personnages en quête d’eux-mêmes, en quête de l’amour qui ne cesse de les fuir.

          Vous êtes une magicienne, chère Isabelle, car, même à l’ombre et à l’horreur, vous réussissez à donner un visage respectable : les pires bourreaux ne sont au fond que des victimes. D’eux-mêmes, des autres. Des victimes de leur peur de vivre, de cette angoisse fondamentale qui entraîne qu’on fait du mal à autrui, qu’on le manipule parce qu’on éprouve, au creux du cœur, une terreur maladive d’être soi-même détruit. Vous êtes une magicienne parce que vous tracez un portrait terriblement juste, même s’il laisse peu de place au bonheur, de notre condition humaine. Vous offrez ainsi à l’autre, à votre lecteur épris et pris dans la toile de votre livre, de sentir au fond de lui germer un cri, son cri. Nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, des VD, des Mina, des Lucie, des Eugenio, des Béatrice, des Jonathan, des Veronica, des Bich, des têtards… Des personnes confrontées, un jour ou l’autre, à la cruauté, la leur et celle des autres, qui font comme elles peuvent pour conserver un équilibre qu’elles doivent sans cesse réinventer.

          Vous décrivez à merveille nos solitudes et notre espoir. Chacun de vos personnages est un feu allumé qui éclaire l’obscurité de l’autre et votre histoire, en une longue spirale de silences, de confidences et de mots murmurés, les conduit à l’essentiel : être capables de s’envisager eux-mêmes comme des hommes et des femmes, malgré leurs peurs et leurs faiblesses.

          Avec La faille, chère Isabelle Sorente, vous avez écrit un merveilleux roman sur le désir et sur la peur que ce désir éveille dans nos profondeurs. Avec La faille, vous posez cette question terrible : « Qu’est-ce qui empêche l’existence de l’enfer ? » Cette question tremble au fond de chacun de nous et, si nous voulons vivre vraiment, nous ne pouvons pas en faire l’économie. Merci de nous conduire au souffle premier, au cri poussé par les poussières d’étoiles que nous sommes avant de croire que l’univers nous appartient. Merci de nous montrer que ce sont nos failles qui nous rendent humains.

 

Frank Andriat

Isabelle Sorente, La faille, Éditions Jean-Claude Lattès, 2015.

Posted in Coup de cœur. RSS 2.0 feed.