Micheline LAURENT, “La remplaçante”, un roman de Frank Andriat qui suscite la réflexion et les échanges…, CONVERGENCES, n°27, septembre 1997.

La remplaçante, un roman de Frank Andriat qui suscite la réflexion et les échanges…

Mon propos, ici, n’est pas de me livrer à une analyse du roman, je préfère même ne presque rien dévoiler de l’histoire. Je souhaite seulement mettre l’accent sur un aspect qui a particulièrement fait vibrer mes cordes sensibles, un aspect qui me tient à cœur…

L’important, c’est le courant qui circule dans une classe.
Sans un climat d’ouverture et d’écoute de l’autre, qui doit se créer sous l’impulsion du professeur dans une classe entre les différentes partenaires, il n’y a pas selon moi d’élèves ni d’enseignants heureux. C’est justement cette absence de courant que Raphaël, un adolescent de quinze ans —le narrateur et le personnage principal du roman—, dénonce en évoquant les rapports désastreux qu’il entretient avec Madame G., la remplaçante de son professeur bien-aimé, Mademoiselle L.
Contrairement à ce que certains pourraient penser, Raphaël est loin d’être un «mauvais» élève, même au sens scolaire du terme. Il est comme beaucoup de nos adolescents actuellement, ceux qui rendent si difficile le métier d’enseignant : il n’est pas prêt «à rejoindre le rang des moutons sages. Pour lui, l’intelligence, c’est vraiment de n’être pas comme eux. C’est pouvoir se singulariser, montrer qu’on est une personne et qu’on a du caractère.»
Le bon professeur, c’est celui qui instaure l’écoute et le véritable dialogue…
Et pourtant, cet adolescent révolté voue à Mademoiselle L. une admiration sans borne qu’il explique à plusieurs reprises :
«Moi, pour que je sois heureux, il faut que je me sente aimé. C’est pour cette raison que j’apprécie tellement Mademoiselle L. Elle nous accorde de la valeur. Avec elle, nous ne nous sentons pas méprisés comme avec la plupart des autres profs. Elle s’intéresse à nous. (…) Mademoiselle L., elle, veut savoir ce qui nous plaît, elle accorde de l’importance à notre avis, elle ne nous met pas en échec si nous n’avons pas la même opinion qu’elle et elle nous apprend à défendre notre position le mieux possible.»
«Une femme surtout qui prend le temps de nous coter, qui part de nos difficultés et qui nous aide à les dépasser plutôt que de nous assommer avec des connaissances dont nous ne voyons pas l’intérêt.»
Certes, Mademoiselle L. est jeune et jolie et son charme ne laisse pas le héros indifférent. cependant, je ne crois pas que cela soit l’essentiel puisqu’il va jusqu’à dire : «Un bon prof, c’est avant tout quelqu’un qui écoute, quelqu’un qui laisse de l’espace à celui qui lui fait face. Si Mme G. était capable de nous écouter, de dialoguer, je suis sûr que, malgré mon caractère têtu, je réussirais à oublier sa laideur. Je ne comprends pas qu’après tant d’années d’enseignement, elle n’ait pas saisi une vérité aussi simple.»
Malheureusement, Mme G. ne semble pas tenir compte de ses élèves : «Elle est ignoble, elle donne cours pour elle, sans se préoccuper le moins du monde de nos réactions………»

Le pouvoir de l’enseignant ? Son influence sur le devenir de ses élèves.
Néanmoins un professeur comme Mme G. ou d’autres laisse des traces dans la construction de la personnalité de Raphaël :
«Plus je l’observe, plus j’apprends tout ce que je dois faire pour ne pas être comme lui. Dans ce cas-ci, mon père dirait que je forme ma personnalité en réaction à l’autre.»
A ce propos, je voudrais épingler ce passage terrible extrait de l’avant-propos où l’ancien adolescent révolté qu’était le narrateur, une fois devenu professeur lui aussi (eh oui !) s’adresse à Mme G. et la remercie ironiquement de l’action qu’elle a involontairement exercée sur lui :
«Adulte, je me rends compte combien j’ai été dur avec vous. Enseignant, je me rends aussi compte combien les élèves que nous voulons soumettre à notre autorité sans être justes se révoltent et deviennent injustes à leur tour. Sans le souvenir des déboires que vous avez vécus avec moi, je serais peut-être devenu un de ces profs qui veut s’imposer à tout prix sans penser qu’en face de lui, il a des jeunes qui ont leur personnalité. Merci donc Mme G. pour les erreurs que vous avez commises et qui m’en ont appris plus sur la vie que tous les livres de pédagogie. Pardon de vous avoir maltraitée: mes quinze ans étaient ma seule excuse. Aujourd’hui, quand les ados que j’ai en face de moi montrent les dents, grâce à vous, je sais comment je ne dois pas les prendre. Leurs outrances me renvoient aux miennes et me rappellent que, si je ne les écoute pas, je les mets en échec en même temps que l’école. Merci à vous, merci aux autres profs que j’ai eus ensuite : d’une façon ou d’une autre, chacun m’a aidé à vivre ce métier difficile, mais si riche !»
Par contre, que dit-il en s’adressant à sa chère Mademoiselle L. ?
«Je tente, comme je le peux, d’être personnel, d’offrir à mes propres élèves ce que vous avez pu me donner…»
On le voit, ce roman peut aussi être interprété comme une sorte d’affirmation de l’importance considérable de la responsabilité de l’enseignant.
L’école, c’est avant tout des rapports humains…
J’y perçois également un plaidoyer pour une école constructive qui se ressent même au travers de jugements apparemment négatifs tels que :
«Je me demande s’il arrive à des profs de déclarer qu’ils sont contents de leurs élèves. Les éternels insatisfaits à qui il en faut sans cesse plus ! Comment travaillaient-ils à l’école ? Un prof qui encourage ses élèves plutôt que de les descendre obtient bien plus d’eux, mais on dirait que la plupart obéissent à la même logique : ils nous disent que nous travaillons mal pour provoquer en nous un sursaut et nous faire travailler mieux. Avec moi, ça ne marche pas; plus on me répète que je suis fainéant, plus j’ai envie de ne rien faire. Quand je me sens apprécié, au contraire, j’ai envie de me rendre appréciable.»
«Au lieu de nous transmettre tant de matières, l’école devrait nous permettre de rencontrer la vie.(…) Il est plus important de former notre personnalité que de nous saturer le cerveau. Notre personnalité ne se transforme qu’au contact avec les autres et l’école est un milieu génial pour cela. On se souvient des profs originaux, on oublie ceux qui, à force de se réfugier derrière des livres, deviennent transparents. Quand on est branché par un prof, on s’intéresse à son cours. Dans l’autre sens, ça ne fonctionne pas : sauf dans de rares cas, ce n’est pas la matière qui nous conduit à nous intéresser au prof, c’est le prof qui nous amène à aimer la matière.»
«L’école devrait éveiller notre curiosité et nous lancer dans l’existence, elle ne réussit souvent qu’à nous apprendre la passivité, qu’à tuer notre côté créateur. »
Un roman interpellant certes, souvent dérangeant mais dont les riches et multiples facettes devraient, par un effet de miroir, provoquer une réflexion positive sur le rôle des enseignants et la fonction de «déclencheur» qu’ils peuvent jouer sur le devenir de leurs élèves.

Micheline LAURENTConvergences, n°27, septembre 1997.

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