Vincent VILLEMINOT

© Emmanuelle Swan

          Cher Vincent Villeminot,

 

          Je vous imagine à Évian, au bord du lac Léman, l’observant, l’épiant, le ressentant, l’écoutant, le rêvant, vous y plongeant, mille fois, profondément et revenant vers nous avec les secrets qu’il vous a murmurés. Je vous imagine sensible, attentif aux bruits du monde, à ses injustices, à sa violence, je vous imagine blessé par l’horrible constat qu’il nous faut dresser si nous sommes un petit peu lucides : notre manière de vivre sans tenir compte des autres ou en les méprisant charrie des morts, vole des vies et les insulte. Et vous, Vincent, l’écrivain, vous ne pouvez plus vous taire : ces atrocités vous révulsent, vous ouvrent à la colère. Vous secouez la vase, vous remuez l’Histoire et, en des mots hallucinés, vous racontez, dans un superbe livre, l’immense combat d’une jeune fille fragile et de son grand mec noir, venu des empires de l’horreur, contre les ombres mangeuses d’hommes, contre l’argent sale nourri du sang de victimes innocentes.

          Avec une tendresse brûlée, avec une émotion poignardée, vous décrivez une quête, une terrible chasse, vous inventez un Moby Dick du Lac où le monstre n’est pas celui qu’on croit, où les méchants portent col blanc et cravate, vous dites l’aberration d’un univers sans âme et vous peignez, avec une poésie cruelle, l’insoutenable légèreté et la complète ignominie d’êtres pour qui le pouvoir n’a pas d’odeur. Lorsqu’on perd le sens, on gagne le sang. Lorsqu’on lie l’amour, on délie la mort. Vos mots sonnent juste, votre style emporte comme une vague inéluctable : vous avez du récit un sens aigu du suspense et de la phrase un sens heureux de l’équilibre.

          Je vous imagine, bouillonnant, habité par le lac, par son immensité drue, crevant d’espoir d’un monde meilleur, à écrire votre roman, à le pétrir, à le retravailler sans cesse pour que votre colère germe dans le silence entre vos mots, pour que vos phrases grincent en chantant, pour qu’elles atteignent leur cible, votre lecteur pris par l’angoisse et le bonheur de vous lire. Vous êtes, Vincent, un éveilleur, vous êtes de ceux qui griffent la coque de nos vies, vous secouez les consciences avec la force d’une plume libre et franche.

          Ce qui est beau dans votre roman, c’est son absolue sincérité, ce qui touche dans vos personnages, Ismaëlle et Ézéchiel, c’est leur humanité fragile, leurs hésitations, leur détermination, ces ombres et ces lumières sous lesquelles ils vacillent et qui construisent la vie et l’amour. Ce qui effraie, dans votre livre, c’est l’effroyable solitude de l’homme parmi les hommes, ce mépris, ce rejet, ces meurtres, cette absence de conscience et de partage. Ce qui émeut, ce qui emporte, c’est votre foi en l’Homme malgré tout, dans son combat contre la Bête et dans celui contre lui-même.

          Je vous imagine, cher Vincent, cherchant les mots de votre épopée lacustre, cultivant les silences, respirant la lenteur de vos descriptions, testant leur profondeur, inspiré par les brumes du Léman, par ses grondements, par ses ondulations amoureuses. Je vous imagine remercier le lac de vous avoir donné cette belle histoire pour dire aux humains si peu humains combien la vie, en dépit de tous les crimes qu’ils commettront, en dépit de toutes les guerres qu’ils génèreront, émergera toujours, simple, fragile, mais joyeuse, joyeuse.

 

Frank Andriat

Vincent Villeminot, Fais de moi la colère, Les Escales, 2018.

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