Le sujet
Lézard, qui vit seul à Paris sous les toits, remplit son assiette et son imaginaire en volant des portefeuilles. Mais son existence tout entière est soudain remise en question lorsqu’il rencontre la surprenante Méduse. Avec elle, il va vivre une relation hors du commun. A cause d’elle, il va prendre des risques. Et emprunter des chemins de traverse qu’il n’aurait pas osé imaginer…
Dans ce roman, Frank Andriat aborde plusieurs thèmes actuels : la survie dans une société du chacun pour soi, la solitude, l’amour… Mais l’originalité de son texte est qu’il conduit son lecteur sur les chemins de l’imaginaire le plus débridé. Ici, la surprise est au rendez-vous jusqu’au terme de l’histoire !
Ce texte peut être lu dès 15 ans. Il est utilisé dès la 3e secondaire dans les écoles belges et dès la 3e en France
Moi, c’est Lézard. J’aime ces bestioles qui se débinent comme des fusées dès qu’elles t’ont piqué la miette qui est tombée de ton sandwich. Tu les as déjà observées ? Elles glandent au soleil, complètement béates et, si tu les regardes, tu pourrais même croire qu’elles sont mortes de bonheur. Mais, en les examinant mieux, tu remarques leur tête dressée, leurs yeux vifs comme des balles de fusil, leur corps tendu, leurs pattes prêtes à te gifler et, soudain, si tu bouges un peu fort un cil, leur immobilité se transforme en une flèche agile et elles filent comme si elles avaient un pétard dans le cul.
Comme moi, les lézards attendent patiemment leur seconde pour réussir leur coup. Si leur cerveau est aussi mobile que leurs yeux, si leur pensée est aussi agile que leurs pattes vives et leur langue volante, ils ne doivent pas être loin du génie, ouais, des génies du vol plané comme moi qui suis un maître voleur. Jamais encore, personne ne m’a intercepté et, à chaque action de grâce, je bénis ma confiance en moi et mon art : en cent quatre-vingt-sept jours, j’ai dérobé quarante-trois portefeuilles, un beau paquet de fric gagné en un temps record parce que certains déplumés se sont montrés vraiment très généreux.
Pour les «honnêtes gens», je ne suis pas quelqu’un de fréquentable. Selon eux, je commets des délits punis par la loi et certains regrettent sans doute l’abolissement de la peine de mort et de la torture lorsqu’ils pensent à des gars comme moi. Aujourd’hui, être honnête, c’est devenu un luxe. Quand tu vis sur une terre stérile, tu n’as pas tellement le choix ; ou tu te faufiles dans les sacs à la recherche d’un peu de blé, ou tu crèves. Pire : être réduit à te dorer comme un lézard au soleil parce que la société ne t’offre rien, ça te donne des idées. Tu songes à ce que les autres possèdent et que tu ne posséderas jamais, tu penses à l’injustice d’un monde qui ne connaît pas le sens du mot «partage». Tant que le soleil te donne chaud, ça va, mais, quand il pleut, ça foire. Tu te blottis alors contre ton impuissance à être heureux et tu es envahi par des idées noires. Le vide, à cet instant, il faut que tu le remplisses, le noeud qui te serre les tripes, il faut que tu le dénoues. Quand la vie me fait trop mal, je fais mal à la vie. Lézard habile, Lézard voleur. Je me rends dans un de ces temples de la consommation où les nantis se donnent du bonheur en achetant ce dont ils n’ont pas besoin, en s’empiffrant pour passer le temps et pour parler de ce qui ne va pas dans le monde en touillant tranquillement dans leur café.
pp. 11-12