Chère Caroline,
Vos deux romans, publiés dans des collections de littérature jeunesse, n’ont rien à envier à tant de textes littéraires qui font les gros titres de la presse. Vos deux livres sont, chacun à sa manière, des perles d’humanité et de justesse. Intelligents, efficaces, remarquablement écrits, ils rejoignent les lecteurs dans leurs fragilités et dans leur générosité.
Vos personnages nous renvoient à nous, à nos déroutes, à ces marécages où nous nous enlisons parfois. En donnant la parole à des exclus, en mettant en lumière leur lutte pour conserver l’équilibre, en montrant combien notre société (mais c’est aussi nous) peut se révéler égoïste et injuste, vous nous ramenez à nos propres failles et à nos mensonges. Ce choix fait votre originalité : vous décrivez, avec empathie, la rue, l’absence de rêve, la solitude intérieure, l’attirance pour l’abîme à travers des êtres blessés, des ados mal dans leur peau, mais aussi des adultes possessifs et violents. Que ce soit Christopher dans La pyramide des besoins humains ou Cheyenne dans La petite romancière, la star et l’assassin, vos héros, même s’ils traînent avec eux des valises de chagrin et qu’ils ont la tentation du vide, sont des observateurs implacables de la réalité. Quand Cheyenne et Christopher parlent de leurs parents, vous parlez de ce qui dérape dans chaque vie. Dans la nôtre aussi. Attachants et profonds, vos héros ne simulent pas. Ils vivent.
La comédie humaine que vous peignez, les ombres que vous décrivez sont autant de pépites qui touchent vos lecteurs. J’ai aimé Jimmy, Tristan ou cette poignante Eléonore qui ne vit que de stress et de strass. J’ai aimé le fait que vous préfériez les indiens aux cow-boys. Vous avez, chère Caroline, le don d’aller à l’essentiel et, comme Balzac, vous créez un univers de correspondances qui fascine et qui interpelle. Dans vos deux livres, les malheureux font « scratch, scratch », mais leur grattement hurle et leurs phrases de philosophes démunis vont droit au cœur et à l’esprit.
Même s’ils parlent des solitudes humaines et des fêlures de l’existence, vos deux romans n’ont jamais rien de larmoyant. Vous demeurez, sans pathos inutile, au-dessus de la mêlée et cela vous permet d’être réellement proche de vos personnages et de leurs tremblements de vie. Vos intrigues sont des prétextes pour raconter les failles, vos trouvailles littéraires servent votre propos humain. Comment construire du bonheur malgré les idées de suicide qui nous traversent ? Comment nous émerveiller malgré les ombres ?
Quelle richesse, chère Caroline ! Vous ne prenez pas vos lecteurs pour des idiots, vous les amenez à réfléchir et c’est d’autant plus important que les collections où vos deux romans sont publiés sont destinées aux ados. Merci pour eux, merci de leur offrir d’aller au-delà des apparences, merci de les confronter à la question du sens et de leur montrer que les réponses simplistes, même si elles brillent, aveuglent et ne construisent que du vent. Merci pour vos mots qui nous conduisent à faire la paix avec nous-mêmes et qui nous rappellent que, pour vivre intelligemment, il faut toujours « creuser profond » !
Frank Andriat
Caroline Solé, La pyramide des besoins humains, L’École des loisirs, 2015.
Caroline Solé, La petite romancière, la star et l’assassin, Albin Michel, Litt’, 2017.