Coup de cœur

Akira MIZUBAYASHI

Cher Akira Mizubayashi,

 

          Parler de votre écriture, c’est avant tout vivre une rencontre émerveillée avec le silence et avec la musique. Vos livres, romans et essais, sont des concertos finement ciselés qui conduisent, avec grâce et clarté, avec justesse et élégance, vos lecteurs à découvrir, dans les blancs de leur lecture, une émouvante mélodie, celle de votre vie qui se décline dans la lumière. Pour partager votre histoire personnelle – les moments heureux, les enthousiasmes, l’amour, la mort, les ombres, les fêlures, les colères et les doutes qui vous ont accompagné –, vous utilisez, avec une rare virtuosité, un instrument étranger, la langue française, votre langue paternelle, celle qui vous a libéré des diktats du japonais, celle qui vous a offert la liberté, l’audace et la transparence qui vous manquaient dans votre langue maternelle.

          Cher auteur japonais d’expression française, cher écrivain français d’impressions japonaises, vous célébrez avec une langue venue d’ailleurs de si justes et harmonieuses noces que j’ai peur de commettre, dans cette lettre, une dissonance, – un inconcevable Au revoir, monsieur alors que je m’adresse à une demoiselle –, mais je le sais, cher Akira Mizubayashi, vous me pardonnerez, car, dans vos livres, il y a tant d’amour et de bienveillance que les disharmonies en sont chacune corrigées.

          Cher ami de Rousseau, cher frère cadet de Mozart, cher prétendant transi d’une Suzanne éternelle, cher enseignant fidèle à la beauté et aux Lumières, vous offrez, dans vos œuvres, un peu de votre âme amoureuse. Vos mots ne sont pas vides, ils sont reliés et ils permettent à vos lecteurs de se retrouver : votre intimité rejoint la leur, en un souffle ténu, en un murmure passionné et fragile. Lorsque vous rendez hommage à Mélodie, tendrement aimée, lorsque vous faites l’éloge de l’errance qui vous a conduit à mieux vous comprendre, lorsque vous déclinez l’amour, la maladie et la mort, lorsque, malgré l’horreur des coups de bottes qui l’ont brisée, vous ressuscitez l’âme d’un violon et la vie d’un père aimant et héroïque, lorsque, tout simplement, vous célébrez notre belle langue française, vous rendez grâces, Akira-san, et vous aimez.

          Tant d’écrivains utilisent leur langue comme une langue morte, habitués à planter des mots, parfois somptueux certes, au fil de leurs histoires sans réellement les habiter : ils créent, avec une prétentieuse indifférence, de brillants romans remplis d’absence. Mais vous, avec une exigence quasiment olympique, avec une spartiate attention et parce que le français n’est pas l’instrument dans lequel vous êtes né, vous savez que chaque mot posé sur une feuille est une innocence qui ne peut être blessée, une note qui se doit de sonner juste, qu’un mot, pour exister, doit être habité, aimé, respecté, reconnu. Lorsque vous parlez de Rousseau, vous êtes Rousseau. Lorsque vous écoutez Mozart, vous devenez Mozart. Lorsque vous écrivez en français, vous êtes le français et nous, lecteurs, devant vos livres savoureux et si justement composés, nous ne pouvons, avec une incroyable reconnaissance et une profonde émotion, que nous recueillir et vous rendre grâces à notre tour.

 

Frank Andriat

Les livres d’Akira Mizubayashi, Une langue venue d’ailleurs, Mélodie, Petit éloge de l’errance, Un amour de Mille-Ans, Âme brisée sont publiés dans la collection Folio.

André-Paul DUCHÂTEAU (1925-2020)

Mon cher André-Paul,

 

          Au lendemain de ton décès, ce 27 août 2020, sous un ciel qui pleure, je t’écris cette lettre, submergé de tristesse. De tendresse aussi, celle que, pendant plus de vingt ans d’amitié, tu m’as offerte, celle qui s’exhalait de toi : ta générosité et ta gentillesse étaient unanimement reconnues. Tu n’étais pas de ceux qui ont le talent égoïste, tu partageais, tu donnais, tu accueillais.

          Je me souviens de notre première rencontre à la RTBF, moi, le jeune auteur, toi, le grand, celui qui me faisait rêver quand j’étais enfant et dont je collectionnais les aventures de Ric Hochet, je me souviens de notre conversation joyeuse à propos de l’athénée Fernand Blum où, à des époques différentes, nous avons poursuivi nos études et où j’étais devenu professeur. Sympathie, désir de nous revoir, rencontres avec mes élèves et projet d’un roman à quatre mains, qui se déroulerait à Blum, comme ton premier livre, Meurtre pour meurtre, écrit dans cette même école quand tu avais quinze ans et édité par un maître du genre, Stanislas-André Steeman.

          En vingt ans, nous avons rédigé quatre romans ensemble et, chaque fois, ce fut une fête. Des instants partagés, fulgurants, joyeux, des intrigues à ficeler, une complicité dynamique et cette manière que tu avais d’être toujours à l’écoute : une collaboration véritable, baignée d’élégance et de délicatesse. Tu n’avais pas de mail, tu m’écrivais de vraies lettres tracées d’une écriture nerveuse et chaloupée sur des feuillets parfois très fins. Nous pouvions passer de longs moments au téléphone où nous brodions nos histoires, où nous parlions du monde, où tu t’effarais des égoïsmes qui régissent la planète. Tu te tenais au courant de tout : ta lucidité, ton enthousiasme, ta voix de jeune homme me faisaient oublier qu’entre nous, il y avait trente-trois ans de différence.

          La presse, qui te rend hommage, dit combien tu es un grand auteur, parle des centaines de milliers de lecteurs que tes scénarios et tes romans ont fait et font rêver de par le monde ; les journaux racontent ton côté gentleman. Tout cela, je l’ai vécu dans mon cœur, car nous étions amis. Merci, cher André-Paul, merci. Lors de notre dernière conversation au téléphone – c’était le 18 juillet – quand j’allais raccrocher, parlant d’Évelyne et de moi, tu as dit « Je vous aime. » Ce sont les mots ultimes que tu m’as adressés, ceux qui te résument. Nous devions nous revoir en août, tu nous avais invités à partager un repas chez toi : le coronavirus, les « bulles » de cinq personnes, ta santé devenue fragile, la prudence m’ont fait postposer la rencontre. Hélas !

          Désormais, cher complice, cher ami doux et tendre, nous nous côtoierons autrement, dans l’invisible des liens qui persistent. L’amitié ne meurt pas, elle se cultive et elle grandit. « Nous aussi. » t’ai-je répondu, ce jour-là. Oui, mon cher André-Paul, nous aussi, nous t’aimons.

 

Frank

Maud SIMONNOT

©Audrey Dufer

Chère Maud Simonnot,

 

          Quel bonheur de se laisser enlacer par vos phrases délicates et sensibles qui ont le ciel et l’amour pour adresse ! Quelle joie d’écouter avec vous les bruissements de la nature qui habite vos mots odoriférants, colorés, magiques, sauvages ! Quel plaisir, Maud, de manger avec vous la nuit et les étoiles, de sentir battre le cœur du monde au fil des pages gracieuses et sensuelles que vous brodez de manière épurée !

          L’enfant céleste, votre premier roman, conduit son lecteur ému sur les chemins d’une mère aimante et d’une femme mal aimée qui traverse tous les sentiments avant de retrouver son centre et une douce plénitude. Vous osez le pari de la fragilité, votre livre est une dentelle précieuse : Mary se reconstruit malgré « le noir entre les lumières », Célian, son merveilleux enfant, est, en dépit de ses chagrins d’école, le fil qui la relie aux étoiles et à l’émerveillement.

          On vous lit et l’on rêve « d’îles plus vertes que le songe », comme l’écrit Saint-John-Perse, on vous lit et l’on voyage au-delà de soi, là où l’infiniment grand rejoint le cœur de l’être, loin des bruits du monde, proche du vrai, du savoureux réel, celui où les sens caressent l’âme, celui où le bonheur présent n’est plus un moment volé, mais une transparence, une évidence, un éclat de rire, une page d’amour.

          Votre roman, chère Maud, malgré le passé dévorant et la mélancolie, prend son lecteur par la main, comme une mère son enfant, et le conduit vers la confiance, vers le lâcher-prise, vers ces rivages où être heureux devient possible malgré les déchirures de l’enfance et les mots-couteaux de ceux qui abandonnent et n’offrent que de l’absence.

          Plus que l’histoire d’une femme hypersensible en cheminement, votre livre rend aussi un vibrant hommage à Tycho Brahe, prodigieux astronome, dans les pas de qui progressent vos personnages et qui les éclaire de ses rêves éveillés. Vous ressuscitez merveilleusement les morts, vous trouvez dans leurs vies ce qui les a fait vibrer : après avoir suivi, pas à pas, cœur à cœur, Robert McAlmon dans La nuit pour adresse, vous accompagnez dans ce nouveau livre, d’autres légendes, Tycho Brahe et Shakespeare, et vous réussissez le pari de transmettre, avec légèreté, délicatesse et simplicité, le fruit de recherches nombreuses et documentées.

          Votre roman est « une cabane au bord d’un lac, entourée d’oiseaux », chère Maud, un hymne vibrant à la nature. On s’y installe, on s’y repose et, où que l’on tourne les yeux, on trouve de quoi respirer, de quoi vivre. Il touche à l’enfance, il touche à l’amour, il touche à l’infini du ciel et, avec la délicatesse d’un peintre visionnaire qui pose des couleurs pastel sur le monde, il ramène à la tendresse, à l’apaisement, à la caresse qui fait l’amour avec amour et qui donne envie de vivre.

          Merci pour le magnifique cadeau, que vous avez offert à vos lecteurs en écrivant ce livre. Merci de m’avoir permis de retrouver en moi le petit tigre qui rêvait aux étoiles et au bonheur.

 

Frank Andriat

Maud Simonnot, L’enfant céleste, Éditions de l’Observatoire, 2020.
Maud Simonnot, La nuit pour adresse, Gallimard, 2017.

Romain PUÉRTOLAS

©Éric Clément

Cher Romain,

 

          J’ai aimé votre roman dédié à votre Tatie et la dénonciation que vous y faites de la violence et des outrages que subissent les femmes. Merci de mettre en lumière le sort de tant d’entre d’elles qui, dans l’ombre et au quotidien, parfois jusqu’à la mort, doivent affronter la brutalité et la bestialité d’hommes indignes, sauvages et inhumains.

          Mais, malgré mes mots, ce n’est pas un roman social que vous avez écrit, c’est un superbe roman policier où, une nouvelle fois, vous jouez habilement avec le lecteur, où vous le trompez pour son plus grand plaisir, où, machiavélique et terriblement efficace, vous avancez dans une histoire horrible dont vous maîtrisez tous les fils.

          Votre jeune avocate et enquêtrice est fine, coriace, intelligente. Elle veut aller au-delà des apparences et dénonce ainsi la médiocrité des a-priori, du racisme, des solutions faciles. Comme elle, nous savons que l’assassin de Rose Rivières ne peut être celui qu’on croit et, comme elle, on hésite lorsque, avec maestria, vous apportez des éléments qui nous font douter. Comme elle, nous nous révoltons en découvrant le journal de Rose et nous avons envie de tordre le cou à son salopard de mari, cet inculte dictateur pour qui une femme n’est qu’une pute et une bonniche.

          Sous le voile d’une enquête policière, vous écrivez un superbe livre qui dénonce l’injustice et l’indifférence, qui condamne l’absence de respect et le manque d’amour. Vous rendez un vibrant hommage à votre Tatie, la sœur de votre maman, qui connut une fin tragique. Son âme plane sur votre histoire, de la première à la dernière ligne ; elle est Rose, mais aussi la tenace avocate qui tire les fils du drame jusqu’au dernier, qui va plus loin que la justice. Celle-ci, comme la vie, peut se révéler totalement injuste et commet parfois d’irréparables erreurs.

          Votre livre est vrai, mon cher Romain, réaliste, passionnant et plein de cet humour que vous distillez au fil des pages, avec plus de réserve que dans vos textes précédents. Vous êtes moins fou. Cependant, malgré le sérieux de votre sujet, vous ne perdez pas cette légèreté qui est votre marque de fabrique.

          Merci de m’avoir entraîné à votre suite, merci de m’avoir amusé, mais aussi de m’avoir permis de réfléchir sur des manières d’homme qui sont détestables. Votre intrigue se déroule dans le passé, mais elle éclaire tristement 2020 : le temps s’écoule sans que nous devenions plus humains, plus délicats, plus intelligents. Votre roman, malgré l’inconsolable peine qui le traverse, est un merveilleux roman d’amour.

 

Frank Andriat

Romain Puértolas, Sous le parapluie d’Adélaïde, Albin Michel, 2020.

          Cher Romain,

 

          Vous êtes un terrible filou et votre nouveau roman en est une preuve éclatante. Avec un art consommé d’inventeur du réel, vous menez votre lecteur sur de sombres chemins de campagne, en ces endroits de la France profonde où les règles ne sont pas celles de la République, où tout se joue dans les non-dits, dans les secrets, dans les silences.

          La police des fleurs, des arbres et des forêts (Quel beau titre !) n’a pas le côté dingue de vos autres livres : plus sobre, plus classique, plus sage, il conserve sa folie en un cocon, la condense, la préserve pour qu’elle explose en un bouquet final qui transforme tout ce qu’on a lu en un feu d’artifice ! C’est fou comme on s’est fait avoir ! Tout était dit et, comme votre enquêteur, on n’a rien vu.

          Cher Romain, comme tout auteur de roman policier qui se respecte, vous êtes un manipulateur. Dans votre histoire, chaque fait semble si vrai, si logique, si pertinent… parce que chaque fait y est vrai, logique et pertinent. Vous décrivez avec finesse, avec humanité, les relations entre vos personnages, leur psychologie, leurs dérives, leurs ombres et leurs lumières. Vous faites grimper le suspense, vous cheminez impitoyablement vers votre coupable, vous le coincez et, ensuite, vous attrapez votre lecteur qui vous a suivi, haletant, passionné, ému par votre terrible histoire.

          Merci pour la surprise, l’ami ! Merci pour ce roman qui découvre l’âme d’un village perdu, pour ce retour vers les années soixante, vers le rêve de Paris et des Galeries Lafayette, vers des êtres simples, mais brûlants. Vous décrivez si bien les passions humaines, les détours qu’elles nous font prendre et les mensonges qu’elles nous conduisent à inventer. Les lecteurs se retrouvent dans vos gens simples, amoureux, sincères qui tentent d’être le plus heureux possible et qui, parfois, à force de trop aimer, finissent par haïr.

          Cher Romain, vous êtes un tendre, même quand vous décrivez des scènes horribles, vous êtes aimant même quand vous décrivez des duperies. Avant d’être de gros cons cadenassés dans leurs certitudes, vos personnages, un brin simenoniens, ont des failles, comme nous tous. Leurs fragilités les rendent attachants et nous conduisent à les aimer. Leurs dérapages nous rappellent les nôtres et nous disent que, parfois, nous sommes prêts à de pleutres tromperies pour échapper à notre quotidien.

          Merci de m’avoir emmené à la campagne, merci de m’avoir fait rêver et vibrer, au terme de votre roman, d’un grand éclat de rire. Vous l’écrivez généreusement et simplement : vos lecteurs sont votre raison d’écrire. Au fil des livres de vous que j’ai lus, je puis affirmer que vous êtes devenu, mon cher Romain, une de mes raisons de lire.

 

Frank Andriat

Romain Puértolas, La police des fleurs, des arbres et des forêts, Albin Michel, 2019.

          Cher Romain Puértolas,

 

          Vous lire, c’est sourire, c’est avoir le cœur et les sens en fête, c’est être envahi d’une douce légèreté, c’est se faire plaisir.

          Dans chacune de vos histoires, vous invitez à un festival de l’imaginaire, à un barbecue olé olé où vos personnages haut en couleurs deviennent des potes avec qui on aime boire un verre de rosé frais et partager d’amusantes anecdotes. Oui, cher Romain, vous avez le don de mettre votre lecteur à l’aise, de lui offrir des livres habités d’affriolantes aventures, de piment, de réflexion, de sensualité et surtout de tendresse, d’énormément de tendresse.

          Malgré les extraordinaires rebondissements qu’ils vivent, malgré leurs talents de magiciens, – qu’ils soient fakir, empereur, policier, factrice, danseuse au Moulin Rouge, aiguilleur du ciel, djihadiste, suprémaciste blanc… – vos personnages conservent une simplicité et une humanité qui émeut et qui ravit. Joyeusement loufoques, ils sont aussi profonds et, avec des mots simples, malgré les sourires qu’ils éveillent, ils nous renvoient à ce qu’il y a de lumineux en nous, à ce qui fait du bien, à la vie.

          Votre merveilleuse petite Zahera et votre Providence de haut vol, votre Napoléon décongelé, votre simpsonienne Agatha Crispies, votre incroyable fakir sont chacun un délice de finesse, de profondeur et d’amour. Rares sont les livres fleuris d’humour, plus rares encore les romans intelligents qui, sans nier l’obscur et la misère, regardent le monde en beau et offrent avec brio de ressentir les autres avec davantage d’empathie. Comme Rachid, le kiné, vos personnages « sentent bon l’humanité et la galette de pain frais » : ils offrent, chacun à sa manière, un peu plus de cœur dans la frénésie de notre monde et vous permettent de parler, avec légèreté, des pires horreurs de notre époque : puissent les politiques s’inspirer de vos pages pour dézinguer le terrorisme sans tuer personne, puissent-ils avoir l’intelligence de votre empereur pour pénétrer l’âme des méchants !

          On se régale au fil des péripéties que vous faites vivre à vos héros, mais votre humour, parfois aussi délirant que votre imagination, ne perd jamais de vue qu’il faut donner du sens à ce que l’on entreprend, que l’amour est la plus belle aventure humaine et que le respect de l’autre et des différences permet de construire une planète plus solidaire.

          Amoureux des livres et des écrivains, vous ne perdez jamais de vue que la littérature est belle lorsqu’elle ne se prend pas la tête et qu’un auteur n’est grand que lorsqu’il n’emmerde pas ses lecteurs avec ses problèmes de constipation mentale. La littérature, c’est comme la vie, un cadeau, et vous invitez chacun à en profiter un max en insistant sur tous ces petits riens qui transforment le quotidien. Vos personnages « terrestres-extra », « ceux dont l’ennemi n’est pas né », deviennent des amis, donnent la pêche, appuient sur la détente (pas la gâchette !) de la tendresse et nous convient à mettre la joie au menu plutôt que la morosité.

          Merci, ami Romain, d’être de ces auteurs qui ne se prennent pas au sérieux tout en offrant à leurs lecteurs des livres heureux, généreux et somptueux, des romans à croquer et qui font tant de bien !

 

Frank Andriat

Romain Puértolas,
L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea,
La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la Tour Eiffel,
Re-Vive l’Empereur,
Tout un été sans Facebook

sont disponibles en Livre de Poche ou aux Éditions Le Dilettante.

Vincent VILLEMINOT

© Emmanuelle Swan

          Cher Vincent Villeminot,

 

          Je vous imagine à Évian, au bord du lac Léman, l’observant, l’épiant, le ressentant, l’écoutant, le rêvant, vous y plongeant, mille fois, profondément et revenant vers nous avec les secrets qu’il vous a murmurés. Je vous imagine sensible, attentif aux bruits du monde, à ses injustices, à sa violence, je vous imagine blessé par l’horrible constat qu’il nous faut dresser si nous sommes un petit peu lucides : notre manière de vivre sans tenir compte des autres ou en les méprisant charrie des morts, vole des vies et les insulte. Et vous, Vincent, l’écrivain, vous ne pouvez plus vous taire : ces atrocités vous révulsent, vous ouvrent à la colère. Vous secouez la vase, vous remuez l’Histoire et, en des mots hallucinés, vous racontez, dans un superbe livre, l’immense combat d’une jeune fille fragile et de son grand mec noir, venu des empires de l’horreur, contre les ombres mangeuses d’hommes, contre l’argent sale nourri du sang de victimes innocentes.

          Avec une tendresse brûlée, avec une émotion poignardée, vous décrivez une quête, une terrible chasse, vous inventez un Moby Dick du Lac où le monstre n’est pas celui qu’on croit, où les méchants portent col blanc et cravate, vous dites l’aberration d’un univers sans âme et vous peignez, avec une poésie cruelle, l’insoutenable légèreté et la complète ignominie d’êtres pour qui le pouvoir n’a pas d’odeur. Lorsqu’on perd le sens, on gagne le sang. Lorsqu’on lie l’amour, on délie la mort. Vos mots sonnent juste, votre style emporte comme une vague inéluctable : vous avez du récit un sens aigu du suspense et de la phrase un sens heureux de l’équilibre.

          Je vous imagine, bouillonnant, habité par le lac, par son immensité drue, crevant d’espoir d’un monde meilleur, à écrire votre roman, à le pétrir, à le retravailler sans cesse pour que votre colère germe dans le silence entre vos mots, pour que vos phrases grincent en chantant, pour qu’elles atteignent leur cible, votre lecteur pris par l’angoisse et le bonheur de vous lire. Vous êtes, Vincent, un éveilleur, vous êtes de ceux qui griffent la coque de nos vies, vous secouez les consciences avec la force d’une plume libre et franche.

          Ce qui est beau dans votre roman, c’est son absolue sincérité, ce qui touche dans vos personnages, Ismaëlle et Ézéchiel, c’est leur humanité fragile, leurs hésitations, leur détermination, ces ombres et ces lumières sous lesquelles ils vacillent et qui construisent la vie et l’amour. Ce qui effraie, dans votre livre, c’est l’effroyable solitude de l’homme parmi les hommes, ce mépris, ce rejet, ces meurtres, cette absence de conscience et de partage. Ce qui émeut, ce qui emporte, c’est votre foi en l’Homme malgré tout, dans son combat contre la Bête et dans celui contre lui-même.

          Je vous imagine, cher Vincent, cherchant les mots de votre épopée lacustre, cultivant les silences, respirant la lenteur de vos descriptions, testant leur profondeur, inspiré par les brumes du Léman, par ses grondements, par ses ondulations amoureuses. Je vous imagine remercier le lac de vous avoir donné cette belle histoire pour dire aux humains si peu humains combien la vie, en dépit de tous les crimes qu’ils commettront, en dépit de toutes les guerres qu’ils génèreront, émergera toujours, simple, fragile, mais joyeuse, joyeuse.

 

Frank Andriat

Vincent Villeminot, Fais de moi la colère, Les Escales, 2018.

Caroline LAURENT

          Chère Caroline, chère Évelyne,

          Je suis ému, profondément touché par la belle aventure que vous avez vécue, je suis illuminé par votre amitié, par votre humanité, par tout l’amour et par la vérité qui habitent votre livre. À vous, Évelyne – même si vous n’êtes plus là pour me lire – je dois dire un immense merci pour votre vie, vos engagements, vos combats, votre sincérité : votre histoire rencontre celle de la France qui a été grandie par des personnes de votre cran et de votre talent. Merci, Évelyne, d’avoir libéré la voix et le corps des femmes, d’avoir élargi le cœur des hommes : votre témoignage est plus qu’une biographie, plus qu’un retour vers le passé : il est, de page en page, une marche vers l’avant, vers l’espérance et vers un avenir qui chante. Merci d’avoir donné du cœur aux idées de gauche, merci de les avoir incarnées dans votre quotidien. Durant votre existence de femme d’action, vous vous êtes investie bien au delà des mots : vous vous êtes colletée avec l’âpreté du vivant, avec une détermination heureuse et avec beaucoup de tendresse. C’est sans doute celle-ci qui vous a rapprochée de Caroline, votre « éditrice-garagiste », impliquée, enthousiaste, bouleversée, bouleversante. Votre ouverture commune a créé un duo de lumière et de feu et a permis un livre que le lecteur ne lâche pas.

          Chère Caroline, quel superbe travail vous avez réalisé ! Outre la prouesse intellectuelle d’achever l’écriture d’un manuscrit orphelin de son auteure, vous avez réussi une émouvante aventure humaine. Votre franchise m’a touché, votre fragilité avouée au fil des pages, votre brûlante envie d’aller au-delà de vous pour offrir à l’autre un roman lumineux, à Évelyne, votre amie disparue, mais à vos lecteurs aussi à qui vous donnez, sans le chercher, une merveilleuse leçon d’empathie, d’intelligence et de générosité. Malgré votre différence d’âge, l’écriture d’Évelyne Pisier et la vôtre se sont rencontrées, vos murmures et vos indignations se sont épousés : la femme née en 1941 et celle née en 1988 se confondent, sans cependant fusionner, restant l’une et l’autre, elles, libres, belles et sincères.

          Et soudain, la liberté peut se lire comme un reflet de l’Histoire, un témoignage brillant et palpitant sur la hargne de vivre, malgré les dérives des hommes, malgré les déceptions, malgré les tromperies et les guerres. Un beau roman, où réalité et fiction se rejoignent habilement dans un style fluide et enveloppant : rien que pour cela, il serait un coup de cœur. Mais, chère Caroline, votre livre à quatre mains est quelque chose de plus qu’un livre et c’est ce qui le rend tellement précieux : il est une évidence, une rencontre, un partage, une transmission, une libération de la parole. J’ai le sentiment que vous vous êtes rencontrée en écrivant l’histoire d’Évelyne, que vous vous êtes construite en réalisant cette œuvre. La merveilleuse alchimie née entre Évelyne et vous est génératrice d’un autre « miracle » : la lecture de votre livre transforme son lecteur, le renvoie à son essentiel à lui, à sa lumière.

          Merci, chère Caroline, de nous montrer que vivre, c’est accepter, recevoir et donner. Votre amitié avec Évelyne est une lumière pour ceux qui l’accueillent, votre sens de l’humanité construit et votre double voix de femme donne à l’homme que je suis une splendide leçon d’amour et de courage. Évelyne Laurent et Caroline Pisier, merci de m’avoir offert de rencontrer vos vies !

 

Frank Andriat

Évelyne Pisier et Caroline Laurent, Et soudain, la liberté, Les Escales, 2017.

Fouad LAROUI

          Cher Fouad Laroui,

          Lorsque je vous lis, un mot me vient au cœur et à l’esprit : « humanisme ». Merci profondément pour vos livres intelligents et sensibles où l’ouverture à l’autre et aux différences, où le respect de l’autre et de son Histoire sont toujours au rendez-vous.

          Je viens d’achever un de vos derniers textes, Ce vain combat que tu livres au monde. Votre livre m’a bouleversé. En deux cent cinquante pages lumineuses et plaisantes, vous réussissez à faire comprendre, avec finesse et profondeur, le pourquoi et le comment du djihadisme. Vous ne vous contentez pas de quelques émotions, de quelques affirmations faciles : vous promenez votre lecteur sur les chemins de l’Histoire, vous créez des liens, vous ouvrez le débat et vous suscitez la réflexion.

          Vos personnages sont humains, vivants, attachants. Leurs fêlures et leur fragilité les rendent vrais et crédibles. La descente d’Ali aux enfers et l’incapacité de Malika à l’aider touchent au cœur, la tragédie que vous dépliez avec brio amène à réfléchir, la solaire tante Ginette fait du bien, Brahim le désorienté qui accuse l’autre de l’être plus que lui pour ne pas affronter ses incertitudes fait frémir. Vous offrez à vos lecteurs une étonnante palette de portraits humains, si humains, ceux tirés de votre imaginaire et ceux extraits de l’Histoire. Merci, Fouad, pour votre culture, pour les mille informations historiques et sociologiques que vous offrez, au fil d’un roman, qui demeure léger, malgré la lumineuse érudition qui le parcourt.

          Vous avez le don de parler de l’humain avec gourmandise. Votre écriture ailée est saupoudrée de finesse et d’humour. Chacun de vos livres, malgré les ombres dénoncées, est un festival de bonne humeur : on sourit (ah, La vieille dame du riad !) en vous lisant, on est ému (l’aventure de Mehdi dans Une année chez les Français), on est surpris, ébloui, on frémit et, parfois, on rit. Comme dans la vie, Fouad, comme dans la vie en partageant, avec des amis, un verre de gewurztaminer.

          Lorsque je songe à vous, je ne peux m’empêcher de penser à ces Humanistes qui ont parcouru les chemins de l’Europe et qui ont préparé le Siècle des Lumières. Vous mettez votre intelligence et votre culture au service de la propagation d’idées qui éclairent le monde, qui le détournent de tous les obscurantismes et des certitudes meurtrières. Merci, cher Fouad, pour votre libre-pensée qui se nourrit de faits, d’Histoire, de recherches et qui, sans cesse, se remet en question pour conserver sa justesse et se garder en équilibre. Avec vous, avec vos livres, on ne sombre jamais dans la caricature : la joie qui en ressort nourrit, la vie, à laquelle chacune de vos phrases rend hommage, fait grandir.

          Vos livres sont rayonnants. Ils font du bien parce qu’ils vont au fond des choses sans être distants et froids. Vos lecteurs trouvent en vos personnages des amis, des personnes qu’ils pourraient rencontrer et avec qui ils pourraient partager un savoureux repas. Moi aussi, cher Fouad, « ce que je préfère, c’est vivre. Vivre ! Ici et maintenant. » En respectant la vie de l’autre. Merci de le rappeler avec une telle intelligence et une si belle profondeur !

 

Frank Andriat

Fouad Laroui, Ce vain combat que tu livres au monde, Pocket, 2018.

Les autres romans de Fouad Laroui sont disponibles chez Pocket.

Geneviève DAMAS

© Francesca Mantovani – Gallimard

          Chère Geneviève,

          Parler de vos livres, c’est parler de générosité et d’empathie. Parler de vos livres, c’est écouter le chant de l’humain et ouvrir les portes de la sensibilité et de l’intelligence. Vous donnez la parole aux blessés, aux solitaires, aux égarés, mais chacun de nous n’est-il pas un peu cela ?

          Dans le superbe Patricia, vous nous offrez de rencontrer Jean Iritimbi, un Centrafricain sans papiers aux rêves déchirés, vous nous donnez à réfléchir à la situation de nos sœurs et de nos frères humains qui n’ont rien et qui cultivent, pour leur malheur, les rêves d’une Europe opulente et accueillante, vous nous montrez, chère Geneviève, que la richesse des cœurs est sans cesse à construire pour aller au-delà des blessures, des fêlures, des mensonges, de la méfiance et pour créer des liens véritables.

          Vos personnages, Patricia, Jean et Vanessa, qui, au fil du roman, prennent la parole (ou la retrouvent) touchent au cœur grâce à la justesse aimante de vos phrases, grâce à l’écoute véritable que vous leur accordez. Vous êtes une auteure empathique, une auteure généreuse et sensible, vous accompagnez avec tendresse celles et ceux qui peuplent vos pages et vous suivez leur traversée vers une vie meilleure avec une réelle émotion qui n’a jamais rien de mièvre ou de surfait.

          Déjà, dans Si tu passes la rivière, vous nous offriez une histoire de déchirure et de solitude, de mots volés et de silences lourds, un récit d’exil intérieur et de retrouvailles avec soi, un roman tourbillonnant, enveloppant, marqué du sceau de la cruauté et pourtant profondément rédempteur. Patricia, votre nouvel opus, malgré l’absence et les ombres, conduit aussi vers le lien et la parole retrouvée.

          Chère Geneviève, si vos personnages nous touchent tant, c’est parce que, comme nous tous, au plus profond d’eux-mêmes, ils cherchent une patrie, parce qu’au delà des fuites et des abandons, ils finissent par trouver une terre où se construire. S’ils rencontrent notre cœur avec tant de présence, c’est parce que vous utilisez, pour les faire vivre, une écriture plurielle, simple, honnête et gorgée de sens. Vos mots se lisent et se disent, vos phrases chantent, légères, porteuses de tant d’humanité, profondes et dansantes.

          Vous parlez de destins qui pourraient être les nôtres, vous n’évitez pas la souffrance et, avec une rare délicatesse, vous dénoncez, à travers ce que vivent vos héros, les mille lâchetés qui parsèment nos existences. Merci d’offrir aux réfugiés une terre d’asile, celle du cœur et de la tendresse. Merci d’ouvrir au partage et à l’accueil des différences.

          Chère Geneviève, vos livres sont précieux. Ils nous rappellent qu’il est terrible de tout perdre, mais plus terrible encore de ne pas aimer et ils nous apprennent, avec beaucoup de grâce, à aimer mieux.

 

Frank Andriat

 

Geneviève Damas, Patricia, Gallimard, 2017

Geneviève Damas, Si tu passes la rivière, Le Livre de Poche, 2014

Caroline SOLÉ

          Chère Caroline,

          Vos deux romans, publiés dans des collections de littérature jeunesse, n’ont rien à envier à tant de textes littéraires qui font les gros titres de la presse. Vos deux livres sont, chacun à sa manière, des perles d’humanité et de justesse. Intelligents, efficaces, remarquablement écrits, ils rejoignent les lecteurs dans leurs fragilités et dans leur générosité.

          Vos personnages nous renvoient à nous, à nos déroutes, à ces marécages où nous nous enlisons parfois. En donnant la parole à des exclus, en mettant en lumière leur lutte  pour conserver l’équilibre, en montrant combien notre société (mais c’est aussi nous) peut se révéler égoïste et injuste, vous nous ramenez à nos propres failles et à nos mensonges. Ce choix fait votre originalité : vous décrivez, avec empathie, la rue, l’absence de rêve, la solitude intérieure, l’attirance pour l’abîme à travers des êtres blessés, des ados mal dans leur peau, mais aussi des adultes possessifs et violents. Que ce soit Christopher dans La pyramide des besoins humains ou Cheyenne dans La petite romancière, la star et l’assassin, vos héros, même s’ils traînent avec eux des valises de chagrin et qu’ils ont la tentation du vide, sont des observateurs implacables de la réalité. Quand Cheyenne et Christopher parlent de leurs parents, vous parlez de ce qui dérape dans chaque vie. Dans la nôtre aussi. Attachants et profonds, vos héros ne simulent pas. Ils vivent.

          La comédie humaine que vous peignez, les ombres que vous décrivez sont autant de pépites qui touchent vos lecteurs. J’ai aimé Jimmy, Tristan ou cette poignante Eléonore qui ne vit que de stress et de strass. J’ai aimé le fait que vous préfériez les indiens aux cow-boys. Vous avez, chère Caroline, le don d’aller à l’essentiel et, comme Balzac, vous créez un univers de correspondances qui fascine et qui interpelle. Dans vos deux livres, les malheureux font « scratch, scratch », mais leur grattement hurle et leurs phrases de philosophes démunis vont droit au cœur et à l’esprit.

          Même s’ils parlent des solitudes humaines et des fêlures de l’existence, vos deux romans n’ont jamais rien de larmoyant. Vous demeurez, sans pathos inutile, au-dessus de la mêlée et cela vous permet d’être réellement proche de vos personnages et de leurs tremblements de vie. Vos intrigues sont des prétextes pour raconter les failles, vos trouvailles littéraires servent votre propos humain. Comment construire du bonheur malgré les idées de suicide qui nous traversent ? Comment nous émerveiller malgré les ombres ?

          Quelle richesse, chère Caroline ! Vous ne prenez pas vos lecteurs pour des idiots, vous les amenez à réfléchir et c’est d’autant plus important que les collections où vos deux romans sont publiés sont destinées aux ados. Merci pour eux, merci de leur offrir d’aller au-delà des apparences, merci de les confronter à la question du sens et de leur montrer que les réponses simplistes, même si elles brillent, aveuglent et ne construisent que du vent. Merci pour vos mots qui nous conduisent à faire la paix avec nous-mêmes et qui nous rappellent que, pour vivre intelligemment, il faut toujours « creuser profond » !

 

Frank Andriat

 

Caroline Solé, La pyramide des besoins humains, L’École des loisirs, 2015.

Caroline Solé, La petite romancière, la star et l’assassin, Albin Michel, Litt’, 2017.

Jean-Marc CECI

          Cher Jean-Marc Ceci,

          Je me suis arrêté.

          J’ai contemplé le silence.

          Je me suis déplié.

          Je vous ai lu et j’ai oublié les mots bavards. Pour en rencontrer d’autres. Ceux qui poussent en soi et qui conduisent vers l’essentiel, vers la lumière mais aussi vers les parts d’ombre.

          J’ai respiré, Jean-Marc. En compagnie de Kurogiku, de Casparo et d’Elsa. J’ai rêvé à la panthère noire qui a plié, en une seconde, la vie de votre héros, qui l’a conduit du Japon en Toscane et qui l’a fait s’asseoir, pour arriver un jour, parce qu’il a ouvert un dialogue avec un autre que lui-même, à découvrir les mots précieux que son père avait notés dans un flocon de neige.

          Tout simplement. Maintenant. Comprendre. J’ai cueilli, dans vos mots et entre ceux-ci, dans l’immobilité silencieuse qu’ils créent, une part de beauté. La mienne. Parce que vos phrases n’imposent rien, parce que vous offrez à votre lecteur de se poser, parce que vous lire ne nous exporte pas vers vous, mais nous importe vers nous. Vous ne nous conduisez nulle part, vous nous accompagnez.

          Monsieur Origami m’a ravi. Le temps s’est figé. Mieux vaut le contempler que le mesurer. Casparo l’a bien compris. Mieux vaut se taire ensemble que parler. Nous nous sommes tus ensemble et Monsieur Origami, votre beau roman, m’a rencontré. Vous n’écrivez pas avec la tête. Vous écrivez avec le centre de vous, là où vous respirez, là où se situe votre équilibre. Et c’est pourquoi vos silences (j’inspire) et vos mots (j’expire) créent l’harmonie, un sentiment de plénitude qu’un livre produit rarement parce que, souvent, les auteurs se noient dans le flot même qu’ils engendrent.

          Vous pas. Vous êtes là, simplement. Vous observez. Le temps. Chaque engrenage. Chaque pli. Vous vous confiez au blanc. À la présence de ce qu’on n’écrit pas, mais qu’on vit. C’est pour cela que votre roman est fort. Il vit au rythme de chacun des lecteurs qu’il a. Je l’ai lu deux fois. C’est rare. Je vais le lire encore. Et chaque fois, je découvrirai un autre livre que celui que j’ai lu. Parce que Kurogiku regarde le monde, tente de comprendre comment il est plié. Et comment, après qu’on l’a déplié, il n’est pas chiffonné.

          Votre roman est généreux. Il donne, il ne prend rien, il sème et il permet de grandir. Il est présent. Comme Elsa. Elle est importante, Elsa, parce qu’elle accueille ceux qui viennent et prend soin de ceux qui restent et de ceux qui partent. Elle est ici et maintenant tout en conservant la juste distance. Celle de l’amour qui se déplie au fil de temps. À quoi sert-il d’avoir si être nous manque ?

          D’habitude, un livre qui a du succès a beaucoup de lecteurs. Grâce à vous, un lecteur reçoit beaucoup de livres : celui que vous avez écrit, mais tous ceux qui naissent de lui, ceux que l’on peut créer en pliant mille et une fois vos mots. Comme un origami.

          Cher Jean-Marc, c’est du grand art. Celui de la paix et de l’harmonie.

 

Frank Andriat

 

Jean-Marc Ceci, Monsieur Origami, Gallimard, 2016.