Des hirondelles pas si naïves
La nouvelle retrouve aujourd’hui une place privilégiée. Des collections lui sont consacrées un peu partout. Poète, romancier (nos lecteurs se souviendront de Matilda, que nous avons publié naguère en feuilleton) et critique (à l’occasion dans ces colonnes), Frank Andriat s’y trouve à l’aise quasi naturellement : une écriture serrée, un sens du raccourci le prédisposaient, selon moi, à cet art plus difficile qu’il n’y paraît qu’est la nouvelle. Est-ce le goût de la rime ? Toujours est-il que paraissent de lui des nouvelles intitulées Hirondelles.
Des hirondelles qui n’ont rien de naïf, croyez-m’en. Le texte qui porte ce titre (sur un trente-trois tours, il s’agirait de la plage titulaire) met en scène un esprit un peu simple qui prend pour d’inoffensives hirondelles des avions meurtriers. Et c’est vrai que la mort rôde dans ces vingt et un textes courts qui nous font voyager à travers le monde, de notre vieille Europe à cette Amérique latine que Frank Andriat connaît bien. La mort terrible ou refuge pour Priscilla ou Mademoiselle qui n’a pu surmonter l’échec d’un amour ou pour Saadia, quinze ans, née à Bruxelles, mais rejetée par la société.
La mort terrible, «tache de cendres», dans un des récits les plus forts qu’il m’ait été donné de lire sur la violence en Amérique latine, les massacres d’innocents, raconté par un enfant… mort. Aux limites de l’insoutenable. Mais un recueil de nouvelles, ce sont aussi les changements de tons, d’ambiances, le talent du narrateur à varier la forme en fonction des contenus. Et Frank Andriat maîtrise parfaitement les recettes du genre. Avec ce zeste d’humour qui fait le «doigté». Et une fois ce petit livre refermé, il vous reste cette impression d’avoir voyagé avec la mort, certes, mais aussi d’avoir frôlé de nombreuses présences féminines, des adolescentes aux longs cheveux avec leurs premiers émois amoureux, des jeunes filles en fleur dont le parfum s’accroche à vous obstinément…
En prélude, deux pages qui expliquent ce que signifie pour un écrivain «s’ouvrir à l’écriture»: «Aujourd’hui, grand adolescent de plus de dix-sept ans, mon premier poème a mûri. Il est trouvé des racines à Bruxelles, au Mexique, dans les rues sombres du bas Schaerbeek. Il est devenu jeune fille arabe, commissaire de police, chat de gouttière,. Il s’est fait ironique, sérieux, revendicatif, taiseux. Mais, derrière ses attitudes et ses visages, se tapit toujours l’envie d’entrer en contact. S’ouvrir à l’écriture, c’est s’offrir le monde.»
Francis CHENOT, Le Drapeau rouge, Bruxelles, 13 juin 1990.