Jean-Pierre BRASSEUR, Au bout du monde, DIMANCHE, 9 juillet 1995.

Au bout du monde Frank Andriat, Prix Baron de Thysebaert

«Celui qui passe en Gaume y revient. Celui qui découvre les collines rondes et chaudes a envie d’à nouveau s’y promener. La Gaume est rieuse et, quand la ciel d’été la fête, elle se découvre des ailes. Enjôleuse. Câline de Torgny à Virton, de Florenville à Musson, de Jamoigne à Chantemelle.»
Il envisageait de s’envoler vers la Guadeloupe pour des vacances de rêve. Un collègue lui a donné un feuillet bouton d’or avec l’inscription : «Beauregard en Gaume. Un lieu, un temps une présence pour retrouver en soi la source», et, sans trop savoir pourquoi, le jeune cadre bruxellois performant a renoncé aux vacances style Club Med pour le «bout du monde» de la Belgique. Assis sur le petit pont de bois qui enjambe la rivière derrière le hameau, il s’étonne: il n’est ici que depuis quelques heures et, déjà, il perçoit qu’il faudra d’autres séjours pour apprendre à «vivre la respiration et les humeurs de la terre gaumaise».
Et il reviendra dans ce pays gaumais où «les collines qui s’entremêlent cachent dans leurs terres chaudes des ronronnements félins…», dans cette nature «encore libre et sauvage qui offre de l’inattendu au regard » et qui «mène au silence et au vrai»… Il découvrira la «Gaume douce qui taille les saisons en rythmes lents et sourds» : du début du printemps quand «le soleil râleur jette, dans la bataille des bourgeons vainqueurs, ses derniers escadrons de glace» à «janvier et ses moissons de givre laissant place aux grives et aux bourgeons qui s’échappent en baisers de lèvres trop longtemps serrées par l’hiver», en passant par l’été quand «le soleil poudroie et transforme les hautes feuilles en averses de lumière» et l’automne dont «les arbres n’ont plus sur eux que quelques feuilles jaunes et brunes pour jouer de la crécelle avec le vent»…
Le couple d’hôtes et leur amie Reinette lui ouvrent le «paysage imprévisible où pâtures, champs, bois, haies, sauvages d’aubépines et de sureaux n’arrêtent pas de se multiplier, de vivre en harmonie avec une nature conviviale et libre.» Au détour d’une rue, il croise un étrange personnage qui «laisse venir à lui le temps d’être et de vivre» ou une «femme de Gaume en profondeur et en silence, femme qui se plaint peu et qui rend grâces pour ce qui lui est donné de vivre». Au fond d’un bois, il remonte le «fifrelin d’eau qui glisse entre des cailloux foncés» pour atteindre l’endroit secret où l’eau sort de terre «en minuscules étoiles de lumière». Il expérimente le vélo qui est une fête, car «il ouvre les paysages, comme on tourne une page. A chaque tour de roue, l’histoire et les images changent.»…
Cet «homme de la ville et de paroles» qui «se remplissait de faire, car être était loin», comprend que l’essentiel ne se dit pas, mais se vit. Guidé par Reinette, «femme de nature et de recueillement», il apprend à vivre dans la simplicité et l’apprivoisement qui prend des mois. «Sur les chemins de Gaume, s’ouvrent à lui l’amour, la joie et la lumière.»
Peu à peu, le beau reportage d’un «Bruxellois découvrant la Gaume» nous plonge au coeur d’un être dont la vie bascule dans l’imprévisible et, en même temps, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus fort : l’amour et la rencontre de Dieu qui «est ce qu’il y a de plus petit au creux de nous et, pourtant, dans ce plus petit, se trouve l’infiniment grand.» (…)
Fascinant voyage d’exploration pour celui qui ne connaît pas la Gaume, Au bout du monde s’avalera comme un grand bol d’air du pays par le Gaumais expatrié. Et celui du pays y découvrira l’imprévisible qui réveille l’émerveillement.

Jean-Pierre BRASSEUR, Dimanche, 9 juillet 1995.

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