« Le tram arrive enfin avec un bruit de marionnette brisée. Sept arrêts et il rejoindra L’enfant qui chante. Ils lui demanderont des nouvelles de Maman.
Ils se moqueront de lui quand il ne saura que répondre.
– Qu’est-ce qu’elle a de si honteux que tu ne peux pas nous le dire ?
Frédéric, Lionel, Mehmed ou l’horrible Joseph poseront une question du genre. Il haussera les épaules ou rougira. Si le médecin, Monsieur Gillet ou le directeur du lycée lui apprenaient au moins de quoi elle souffre ! »
Petit, petit écureuil brun
Tes yeux sont grands, ton corps coquin
Et ton sourire qui fanfaronne
Ne te font ressembler à personne.
Ton regard brille et papillonne
Petit, petit écureuil brun.
Maman chantait et souriait. Tous les soirs, avant qu’il ne s’endorme, elle montait dans sa chambre. Elle se tenait debout près de la fenêtre, devant les tentures tirées. Il l’écoutait avec ravissement. Il observait derrière elle le dessin du tissu: des arbres, des feuilles vertes et, la queue en l’air, des dizaines d’écureuils parsemés sur le fond clair. Il adorait que maman chante la ballade du petit écureuil: il avait l’impression qu’ils dansaient sur les tentures à chacun de ses mots.
Il ferme la porte. Il ne veut plus rien entendre. Où est le temps des chansons de Maman? La pièce est terne. Quatre lits, du papier peint beige sale. Rien à voir avec sa chambre aux écureuils: là-bas, une large fenêtre s’ouvre sur un parc. Ici, ça fait des mois qu’on n’a pas nettoyé les vitres. Pas de rideaux. Il connaît chaque brique de la demeure grise d’en face. Tous les soirs, vers neuf heures, une jeune fille s’installe de profil devant un bureau laqué blanc. Il a un peu peur. Les autres ne sont pas encore de retour. Quelle joie s’il ne les voyait plus ! Joseph, surtout, le plus grand qui lui a fait des propositions.
— J’ai une chambre pour moi tout seul. Si tu veux venir . . .
Il n’a pas répondu. Le regard de Joseph lui fait peur. Il s’est esquivé à petits pas rapides, a rejoint la pièce qu’il partage avec Frédéric, Lionel et Mehmed, des petits.
L’enfant qui chante : c’est le nom du home où il a été placé. Le soir de son arrivée, il s’est demandé pourquoi l’on donne des noms de rêve à des prisons.
— L’enfant qui chante est une maison pour enfants sauvages, lui a expliqué le directeur en l’accueillant.
Il a répété l’expression “enfants sauvages” en passant la langue sur sa lèvre supérieure. Ensuite, il a ajouté rapidement:
— Mais toi, mon garçon, tu n’es pas de ceux-là ! J’espère que ton séjour ici ne sera pas trop désagréable.
Dans sa chambre aux écureuils, il y a des livres plein les murs, et des disques. A midi, le soleil entre par la fenêtre ouverte. Il se couche sur le sol, ferme les yeux, écoute. Le vent joue du violon dans les branches des platanes de l’avenue. Parfois, il pleut et le bruit des gouttes sur les pavés ressemble aux notes hachées d’un piano. Les voitures passent devant la maison avec un boucan de grosse caisse et, soudain, au creux d’une plage de silence, les pépiements d’un moineau font songer à la grâce discrète d’une flûte traversière.
— Ta maman est gravement malade; il faut qu’elle entre à l’hôpital.
Le médecin de famille a une voix de fausset. Il le déteste. Pourquoi prend-il des décisions qui font mal? Sans lui, il serait encore dans la chambre aux écureuils. Il pourrait rêver à la voix chaude de Maman au temps où elle chantait.
Petit, petit écureuil brun
Tes yeux sont grands, ton corps coquin.
Il la déteste. Pourquoi, depuis des mois, n’arrête-t-elle pas de tomber malade? Une mère, ça s’occupe de son enfant surtout si elle n’a pas été capable de lui donner un père. Ils les détestent tous: Mehmed, Frédéric, Lionel, Joseph, Monsieur Gillet, le directeur de L’enfant qui chante. Que fabrique-t-il chez ces gens-là? Il n’est pas un enfant qui vole et qui ment, qui se révolte et qui insulte. Il voudrait être dans sa chambre près du parc, avec de vrais parents.
extrait de L’enfant qui chante, © Éditions Bernard Gilson, 1993.
Tes yeux sont grands, ton corps coquin
Et ton sourire qui fanfaronne
Ne te font ressembler à personne.
Ton regard brille et papillonne
Petit, petit écureuil brun.
Maman chantait et souriait. Tous les soirs, avant qu’il ne s’endorme, elle montait dans sa chambre. Elle se tenait debout près de la fenêtre, devant les tentures tirées. Il l’écoutait avec ravissement. Il observait derrière elle le dessin du tissu: des arbres, des feuilles vertes et, la queue en l’air, des dizaines d’écureuils parsemés sur le fond clair. Il adorait que maman chante la ballade du petit écureuil: il avait l’impression qu’ils dansaient sur les tentures à chacun de ses mots.
Il ferme la porte. Il ne veut plus rien entendre. Où est le temps des chansons de Maman? La pièce est terne. Quatre lits, du papier peint beige sale. Rien à voir avec sa chambre aux écureuils: là-bas, une large fenêtre s’ouvre sur un parc. Ici, ça fait des mois qu’on n’a pas nettoyé les vitres. Pas de rideaux. Il connaît chaque brique de la demeure grise d’en face. Tous les soirs, vers neuf heures, une jeune fille s’installe de profil devant un bureau laqué blanc. Il a un peu peur. Les autres ne sont pas encore de retour. Quelle joie s’il ne les voyait plus ! Joseph, surtout, le plus grand qui lui a fait des propositions.
— J’ai une chambre pour moi tout seul. Si tu veux venir . . .
Il n’a pas répondu. Le regard de Joseph lui fait peur. Il s’est esquivé à petits pas rapides, a rejoint la pièce qu’il partage avec Frédéric, Lionel et Mehmed, des petits.
L’enfant qui chante : c’est le nom du home où il a été placé. Le soir de son arrivée, il s’est demandé pourquoi l’on donne des noms de rêve à des prisons.
— L’enfant qui chante est une maison pour enfants sauvages, lui a expliqué le directeur en l’accueillant.
Il a répété l’expression “enfants sauvages” en passant la langue sur sa lèvre supérieure. Ensuite, il a ajouté rapidement:
— Mais toi, mon garçon, tu n’es pas de ceux-là ! J’espère que ton séjour ici ne sera pas trop désagréable.
Dans sa chambre aux écureuils, il y a des livres plein les murs, et des disques. A midi, le soleil entre par la fenêtre ouverte. Il se couche sur le sol, ferme les yeux, écoute. Le vent joue du violon dans les branches des platanes de l’avenue. Parfois, il pleut et le bruit des gouttes sur les pavés ressemble aux notes hachées d’un piano. Les voitures passent devant la maison avec un boucan de grosse caisse et, soudain, au creux d’une plage de silence, les pépiements d’un moineau font songer à la grâce discrète d’une flûte traversière.
— Ta maman est gravement malade; il faut qu’elle entre à l’hôpital.
Le médecin de famille a une voix de fausset. Il le déteste. Pourquoi prend-il des décisions qui font mal? Sans lui, il serait encore dans la chambre aux écureuils. Il pourrait rêver à la voix chaude de Maman au temps où elle chantait.
Petit, petit écureuil brun
Tes yeux sont grands, ton corps coquin.
Il la déteste. Pourquoi, depuis des mois, n’arrête-t-elle pas de tomber malade? Une mère, ça s’occupe de son enfant surtout si elle n’a pas été capable de lui donner un père. Ils les détestent tous: Mehmed, Frédéric, Lionel, Joseph, Monsieur Gillet, le directeur de L’enfant qui chante. Que fabrique-t-il chez ces gens-là? Il n’est pas un enfant qui vole et qui ment, qui se révolte et qui insulte. Il voudrait être dans sa chambre près du parc, avec de vrais parents.
extrait de L’enfant qui chante, © Éditions Bernard Gilson, 1993.