Manipulations

avec André-Paul Duchâteau, Memor, Bruxelles, 2002.

Frank Andriat et André-Paul Duchâteau, scénariste de BD et auteur de romans policiers, ont tous deux fait leurs études à l’athénée communal Fernand Blum de Schaerbeek. En 2002, pour fêter respectivement leurs 44 et 77 ans, ils se sont retrouvés autour d’un projet commun : écrire un livre dont l’action se situe dans leur ancienne «boîte», un roman dont les élèves sont les acteurs. Une histoire d’amitié qui offre aux lecteurs de découvrir la magie née de la rencontre de deux écritures et de deux sensibilités différentes.

Le sujet

Qui en veut à Jean-Paul Werner ? Qui a intérêt à fomenter contre lui un terrible complot le jour où il rend visite à une classe d’élèves de l’école où lui-même a fait ses études et où il a écrit son tout premier roman?

Marc Duchamp, un des étudiants, décide de comprendre pourquoi ses copains de classe ont saboté la rencontre avec l’écrivain. Son enquête le mène à découvrir de vieilles planches de BD, mais lui donne aussi de mieux connaître les filles et les garçons qui partagent son quotidien.

Rien ne l’arrête : ni les menaces qu’il reçoit par mail ou dans des enveloppes bleu pâle, ni le fait que, chaque fois qu’il croit avoir trouvé une solution, tout se complique terriblement. Peut-être parce qu’il y a Jennifer, la superbe Jennifer à qui Marc paie des crèmes glacées au parc Josaphat, Jennifer à qui il n’ose pas avouer son amour.

Un roman à suspense dont l’action se déroule dans une école où règne un esprit frappeur qui n’a rien de commun. Il est utilisé dans les classes à partir de la 1ère secondaire (6ème en France).

— Eh bien, Marc ? demande-t-elle.   N’avais-tu pas quelque chose de très important à me dévoiler ?

— Je ne croyais pas que tu viendrais…, parviens-je péniblement à articuler.

Elle éclate de rire, ne se laisse pas démonter par mon trac.   Au contraire, on dirait qu’il l’amuse.

— Si l’on commandait d’abord notre crème glacée, dis-je.   Après, nous serons plus tranquilles pour parler.

— Tu parles ! me répond-elle.   Avec de la Chantilly et des boules de glace plein la bouche !

Et elle rit davantage.

— C’est comme tu préfères, Jennifer.

— Okay pour la glace, dit-elle.   Elle refroidira un peu les regards que tu portes sur moi, mon cher Marc.

Elle a dû remarquer que, malgré moi, mes yeux sont particulièrement attirés vers son décolleté plongeant.   Je rougis instantanément et je manque d’exploser quand elle me demande :

— Tu veux deux boules ?

— De quoi ? dis-je.

— Mais de glace, Marc, deux boules de crème glacée.   Aujourd’hui, tu ne consommeras rien d’autre.

Je ne sais plus où me mettre.   D’un coup, je viens de perdre la balle de match.

— Écoute, Jenni,… ne crois pas que…

— Allez, remets-toi, je te charrie.   Moi, ce sera chocolat-moka.   Et toi ?

— Pistache-pistache, réponds-je sans réfléchir.   Je vais les commander.

Au moment où je me lève pour aller chercher les crèmes glacées, elle éclate une nouvelle fois de rire.   Quand je reviens avec les deux cornets, j’ai retrouvé mon calme.   Elle me regarde d’un air coquin et dit :

— Vas-y, Marc.   Je t’écoute.   Explique-moi ce que tu as sur le coeur.

Je lui tends sa glace chocolat-moka et je commence à parler.   Je lui dévoile tout, je lui raconte mon enquête dans les moindres détails et les conclusions auxquelles j’ai abouti.   Je ne lui laisse pas le temps de me couper la parole et, lorsque je me tais, elle a l’air complètement abasourdie.

— Je ne m’attendais pas à ça, murmure-t-elle.   Je croyais que tu voulais me dire autre chose…

Elle a raison.   Tout ce que je viens de lui raconter ne représente rien par rapport à la petite phrase que je n’ose pas pas prononcer.   Ma main se met à trembler et je sens qu’un filet de sueur me coule dans le dos.   Pendant quelques secondes, nous nous taisons.

— Je croyais que tu voulais me dire autre chose,… répète-t-elle en rapprochant son cornet chocolat-moka de mon cornet pistache-vanille (j’ai finalement choisi deux boules aux saveurs différentes).

Elle pose sa boule chocolat contre ma boule pistache et murmure lentement :

— Quelque chose comme ça.

Maintenant, nos deux boules de crème glacée sont collées l’une contre l’autre et, malgré la panique qui m’étreint, je rapproche mon visage du sien :

— Oui, Jennifer, tu as raison, je… je…

— Tu…

— Je t’aime.

Dans ses yeux, j’aperçois un sourire et le miracle se produit : comme si elles étaient des ailes de papillon, ses lèvres effleurent fugitivement les miennes, s’envolent rapidement, me laissent complètement pantois.   Jennifer me sourit :

— Tu vois, murmure-t-elle, j’ai emmené un morceau de toi avec moi.

Elle me montre sa boule chocolat où s’étale la couleur verte de ma glace à la pistache.   Je regarde mon cornet : sur ma boule pistache, il y a des traces de chocolat.

— Moi aussi, dis-je, je conserve un peu de ta présence en moi.

Et, à coups de langue voluptueux, je lèche longuement ma crème glacée jusqu’à en faire disparaître toutes les traces de chocolat.

— Gourmand, va ! lance Jennifer.

— Gourmet, plutôt ! réponds-je.   Tu es complètement délicieuse.

Frank Andriat et André-Paul Duchâteau

Manipulations , pp. 74-76

© Éditions   Memor, 2002.

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