Quand l’apprentissage de la citoyenneté débouche sur la publication de livres écrits par des élèves…
Il est encore assez rare que ce genre d’initiatives se concrétise dans le cadre d’une action commune au monde de l’enseignement, de la culture et de la politique. On dit souvent que l’École reste un milieu fermé, trop peu ouvert sur le monde extérieur. Eh bien! des élèves de l’Athénée Fernand Blum de Schaerbeek ont eu l’occasion, à plusieurs reprises, de mener des expériences formidables qui ne peuvent que marquer leur vision de la politique et de la démocratie.
Le fruit d’un concours de circonstances, mais avant tout un déclencheur : le professeur…
Il faut dire qu’ils ont la chance d’avoir un professeur de français qui possède des qualités humaines remarquables dont sont d’ailleurs imprégnés tous les ouvrages qu’il écrit… Car Frank Andriat est écrivain : il a commencé par publier des recueils de poèmes puis il s’est fait connaître par un magnifique roman, Journal de Jamila, publié en 1986 (…)
Peut-être est-ce la raison pour laquelle ses élèves ont eu envie à leur tour de jouer aux écrivains et de prendre ce rôle très au sérieux. C’est évidemment plus complexe que cela… Toujours est-il que Frank Andriat a réussi, à deux reprises, à mener à bien un rêve de beaucoup de professeurs de français : faire publier les écrits de ses élèves. Il s’agit déjà en soi d’un exploit, mais le projet présente d’autres facettes dont la plus importante est sans doute d’avoir, à travers son action éducative, sensibilisé concrètement les adolescents à la notion de citoyenneté.
Une action à plusieurs étapes…
Mais venons-en à l’historique du projet qui s’est finalement étalé sur trois années scolaires, impliquant différentes classes de 1ère et de 4ème, et qui a donné lieu à la publication de deux livres, grâce au concours de plusieurs Échevins de la commune de Schaerbeek et à l’intérêt manifesté par un éditeur pour les idées et les initiatives des jeunes de cet âge.
Le premier pas : réconcilier les jeunes avec la politique.
L’idée est née dans l’esprit de Frank Andriat suite à une conversation de classe au cours de laquelle bon nombre de ses élèves lu avaient manifesté leur désintérêt total, voire même leur dégoût de la chose politique : les élections communales qui se profilaient ne préoccupaient nullement ces jeunes confrontés aux inégalités sociales et aux injustices… Mais alors, pourquoi ne pas exprimer leurs reproches dans des lettres à l’adresse des mandataires communaux ? Et le nouveau bourgmestre, Francis Duriau, d’accueillir positivement ces témoignages et de rencontrer les élèves en dialoguant avec eux à partir de leurs critiques et de leurs suggestions… Non, les politiciens n’étaient peut-être pas aussi «pourris» que cela, ils étaient capables d’écoute, même vis-à-vis de jeunes qui ne votaient pas encore. Le premier pas était fait !
Le premier livre : des témoignages personnels à propos de la démocratie…
L’année suivante, d’autres élèves de 4ème eurent envie d’aller plus loin; et c’est ainsi qu’a vu le jour le Petit Alphabet de la démocratie. Suite à une proposition du professeur, chacun a écrit ce que lui suggérait un mot choisi dans une liste en rapport avec le sujet, créant ainsi une définition personnelle souvent originale, parce que née de leurs tripes, comme le leur avait demandé l’éditeur au cours d’une rencontre destinée à faire le point sur leurs «œuvres». C’est ainsi qu’au mot «racisme» on peut lire ce terrible témoignage :
«Maintenant, je change de trottoir à la vue d’une vieille : au moins ainsi, je ne lui fais pas peur. J’ouvre mon manteau et le rabaisse mon pull dans les magasins, ainsi je m’évite la honte d’être fouillé pour rien. C’est insultant. Qu’est-ce que ces gens attendent pour comprendre qu’on ne veut pas leur faire de tort ?»
L’ouvrage final présente également le mérite d’aligner et de réunir des écrits de ces jeunes avec des témoignages sollicités par eux auprès de personnalités connues. Je crois qu’on ne pas pas mieux résumer l’esprit du livre et l’action qui a contribué à sa réalisation, que par ces propos signés d’Albert Jacquard au mot «partager» :
«Disposer d’un bien permet de le consommer, mais permet aussi de l’offrir à l’autre, de le partager. Mais ce bien peut n’être pas matériel, ce peut être une information, une idée, une émotion. Ainsi se constitue un échange qui a valeur par lui-même indépendamment de ce qui est échangé. L’important est la réciprocité : chacun s’enrichit du contact avec l’autre.»
Le second livre : un recueil de récits inspirés par la Déclaration des droits de l’homme…
Au début de l’année scolaire 1996, la classe de 4ème suivante était drôlement motivée pour suivre la voie ainsi brillamment tracée. Après quelques tâtonnements, élèves et professeur s’orientèrent vers la conception de récits inspirés par les différents articles de la Déclaration des droits de l’homme dont on fêtera le cinquantième anniversaire en 1998. C’est ainsi que, progressivement, s’élabora un recueil intitulé Frères, libres et égaux. Le travail consista d’abord à s’approprier les textes des trente articles si peu connus par les adolescents, à les comprendre, à les analyser, puis progressivement à laisser les jeunes esprits inventifs créer leur histoire après en avoir choisi un comme thème… Cela ne fut bien sûr pas facile, et il fallut, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs l’année précédente, se prêter à la confrontation avec la critique des autres, lors de moments d’échanges tellement enrichissants, sous l’animation du professeur. Les résultats sont souvent surprenant, toujours empreints d’émotion, parfois teintés d’un tel accent de vérité violente qu’il vous ferait facilement confondre l’univers de ces récits avec la réalité encore vécue par beaucoup de personnes actuellement. C’est pourquoi on ne peut qu’approuver la réponse faite par un des auteurs à celui qui lui demandait s’il ne souhaitait pas voir ajouter un nouvel article à la Déclaration des droits de l’homme : «Qu’elle soit enfin appliquée !»
Il n’est sans doute pas inutile de préciser que les droits d’auteur des deux ouvrages sont intégralement versés à des associations humanitaires, dont Amnesty International pour la premier. Cela aussi s’inscrit dans une éducation à la citoyenneté au service des autres.
Un climat d’école
Certes un tel projet n’aurait su aboutir sans le soutien de toute l’équipe éducative de l’école qui, sous l’impulsion du préfet, Marcel Van Renterghem et du proviseur Patrick Tisaun, accorde une place particulière à toutes les initiatives destinées à promouvoir «une prise de conscience des valeurs de base de la démocratie, des efforts et des luttes à mener pour la sauvegarder.»
Micheline LAURENT, Convergences, n°27, septembre 1997.