Monique VERDUSSEN, Le “Journal de Jamila” : exemplaire et indispensable, LA LIBRE BELGIQUE, 31 déc.86 – 1 janvier 1987.

Le Journal de Jamila : exemplaire et indispensable

Frank Andriat nous fait entendre la voix d’une petite Marocaine de Belgique

Écrire un journal est parfois un acte d’écrivain. C’est plus souvent encore le refuge d’adolescents qui laissent couler, de cette manière, le flot de leurs sentiments, de leurs ressentiments, de leurs rêves, de leurs blessures, de leurs échecs. De leur vérité, en somme… A ce titre, le lecteur qui en découvre ne peut manquer de se trouver touché.
En écrivant le journal d’une petite fille fictive, Frank Andriat prenait donc le risque de tricher avec l’authenticité qui fait le prix de la chose. Mais ce jeune professeur de français d’une école bruxelloise est si affectivement proche et à l’écoute des problèmes des jeunes —dont beaucoup d’immigrés— qu’il côtoie tous les jours dans son métier qu’il ne pouvait aucunement trahir les pulsions, les pensées, les impressions, les émotions et les révoltes intimes de ceux-ci. Et la forme choisie du «journal» ne traduit, en fait, que mieux, de l’intérieur, le désarroi d’adolescents mal installés dans leur peau, que ce soit entre deux cultures opposées ou, de manière plus générale, dans leurs rapports avec leurs parents, avec l’école ou avec une société dont, le moins qu’on puisse dire, est qu’elle ne leur ouvre pas largement ses portes.

Porte-parole

«Jamila» est un prénom qui vient d’ailleurs. En l’occurrence, c’est une figure emblématique, une sorte de porte-parole des jeunes que l’on croise à nos coins de rues sans toujours bien les comprendre et, plus particulièrement, des jeunes immigrés dont elle dit fort bien la difficulté d’être à la fois d’ici et d’ailleurs. Symbolique pour les besoins d’une fiction proche de la réalité, elle est, en dépit de cela, très réelle et très présente dans ce journal qu’elle livre d’elle-même à travers le regard, la plume et les perceptions de Frank Andriat.

Jamila est l’aînée d’une famille de quatre enfants. Née au Maroc, elle est arrivée en Belgique vers l’âge de dix ans. Elle en a donc dix-sept lorsqu’elle écrit son journal. Son père, au chômage, y apparaît comme un homme brutal et traditionaliste… Pour autant que cela concerne les gens qui l’entourent. Sa mère est une femme effacée et docile qui n’a d’autre horizon que les travaux du ménage et les saouleries de son mari.

A la maison, Jamila vit une vie de petite fille qu’elle aurait sans doute acceptée dans son pays d’origine. A l’école, elle côtoie des jeunes Belges, garçons et filles, qui lui ouvrent des perspectives de liberté, d’affectivité, d’amitié, de communication et de responsabilité auxquelles elle n’a accès qu’à coups d’affrontement très rudes et quotidiens avec l’autorité paternelle. «Par ma mentalité, par mon éducation, ma sensibilité, je suis d’ici, constate-t-elle, Par la couleur de ma peau, par mes parents, je suis d’ailleurs.»

Des traits simples

Ce n’est pas un thème nouveau. Mais il est abordé avec beaucoup de sensibilité. Sans doute, et Frank Andriat est le premier à l’admettre, le Journal de Jamila ne se soucie-t-il pas beaucoup de nuancer ou de circonstancier une réalité dont les personnages sont parfois outrancièrement typés. Mais une petite fille qui écrit son journal ne s’en souvient pas non plus. Et puis, pour donner à toucher —du dedans— des sensations et des questions essentielles, il faut souvent savoir réduire à quelques traits simples, voire simplistes, le regard que l’on en a.

Toujours est-il que, tel quel, le Journal de Jamila ne devrait pas passer inaperçu. Il est un point de départ idéal à tout débat sur les jeunes d’aujourd’hui que seraient soucieux de soulever des jeunes et des moins jeunes; il est un «journal» exemplaire, d’un genre littéraire qu’il honore par son style précis, concis et rapide. Et si c’est un petit livre par le format, il est grand par ses intentions. Tout le monde devrait se donner, pour cette raison, la peine de l’ouvrir.

Que signifieraient, en effet, nos «meilleurs vœux, souhaits sincères» de ce début d’année si l’on ne pouvait entendre, avec sérénité et bonne volonté, la voix d’une petite fille déchire qui interroge : «Qui peut m’aider?» et si l’on n’avait, comme elle, la bouleversante sincérité de se remettre en question quand elle accepte : «Parfois, même quand je pourrais lui donner raison, je conteste les idées de mon père, simplement pour m’opposer à lui».


Monique VERDUSSEN
La Libre Belgique, Bruxelles, 31 déc. 1986 -1er janvier 1987.

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