Philippe COLLING, Andriat jette un pont vers demain, L’AVENIR DU LUXEMBOURG, 16 mars 2010

Andriat jette un pont vers demain

Pont désert, le dernier Frank Andriat, est une lecture romanesque d’Avec l’Intime : le monologue intérieur d’un quadragénaire à Paris.

C’est l’histoire d’un mec.  Pas celle de celui du pont de l’Alma, celle que racontait Coluche.   Ce mec-là, il s’assied sur un autre pont de Paris, le Pont des Arts.  Pour faire le point.  Avec la vie.  Avec sa vie.   Avec cette petite voix qui est un autre lui-même et lui parle à l’oreille.

Ce mec-là, Julien, a quarante ans et a quitté Gorcy, à deux pas de la frontière belge, en Gaume, mais côté français, pour Paris.  C’était il y a une vingtaine d’années.  Il a rompu tous les ponts.  Avec sa mère, son village, sa vie d’avant et cédé aux sirènes parisiennes.  Et puis plus rien.  Le vide. Le désert de la vie.  Le désert de sa vie.

Pont désert est le dernier ouvrage —paru car on sait que son auteur lâche rarement la plume— de Frank Andriat, sorti tout récemment chez Desclée de Brouwer.  Il est, comme on l’a vu, beaucoup question de ponts —ceux qu’on rompt, mais aussi ceux que l’on jette— et de déserts —ceux que l’on fuit et ceux que l’on traverse.

DIPTYQUE

Il y a un an, Andriat publiait chez le même éditeur Avec l’Intime, un essai ou plutôt une méditation au cours de laquelle l’auteur, Bruxellois d’origine, Gaumais d’adoption, faisait le point avec lui-même.  Avec sa voix intime. Pont désert adopte le même procédé, bien que Julien ne soit pas Frank.  Au «tu» d’Avec l’Intime, Andriat substitue le quadragénaire tout neuf de Pont désert. «On pourrait dire, en effet, que ce livre-ci est le pendant romanesque du précédent.» reconnaît l’auteur.

Le pont désert, sur un banc duquel Julien a posé les fesses, c’est donc le célèbre Pont des Arts. «Pour Julien, ceux qui ont réussi sont au bout de ce pont, explique Frank Andriat. Au bout du pont : sous la Coupole, à l’Académie…  Ce lieu est aussi l’un de ceux qui, selon moi, invitent le plus à la méditation, à Paris.  La vue est dégagée, on suit le cours de la Seine, on perçoit Notre-Dame.  À moi aussi, il m’arrive d’aller m’y asseoir.   Le pont des Arts permet une respiration !»

Et c’est précisément ce que fait Julien : il prend le temps, il prend l’air, il prend le pouls de son existence, à mi-chemin, si l’on considère que l’espérance de vie tourne autour des quatre-vingts ans.

Jamais peut-être —sinon pour Avec l’Intime, déjà—, la plume d’Andriat n’a été aussi essentielle, tout en étant aussi économe.   Pas un mot de trop : une écriture à l’os, une épure dont l’auteur trace les traits au scalpel.  En profondeur.  Au fond, là où ça fait mal, là d’où son héros doit revenir s’il veut vivre. Qu’adviendra-t-il de Julien, au terme du roman, au bout du pont, à la fin de cette pause qui serait un autre En attendant Godot?  On sait Andriat tourné vers la lumière.  Vers l’espoir.  Julien quittera le pont comme on quitte le désert.  Pour un retour à la vie.  Un retour à la ville et, peut-être, un retour à Gorcy ?

Philippe COLLING, L’Avenir du Luxembourg, 16 mars 2010.

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