Il s’en passe rue Josaphat
Bruxellois d’origine, Frank Andriat est Gaumais d’adoption.
Il publie son nouveau roman, Rue Josaphat, un décor qu’il connaît fort bien.
Frank Andriat connaît bien Rachid, Mehmed, Juan, Constantin et Alexandra, les jeunes héros de son dernier roman, Rue Josaphat, qui vient de paraître chez Memor. Né en 1958 à Ixelles, l’auteur est prof de français à Schaerbeek. Quand on aura ajouté que ses grands-parents résidaient… rue Josaphat et qu’enfant il a fréquenté le quartier, le lecteur sera rassuré quant à la parfaite pertinence du propos du livre : la rue Josaphat à Schaerbeek, comme «exemple de vie multiculturelle».
«Ce quartier, je le connais bien puisque j’y ai vécu une partie de mon enfance et que j’y flâne encore fréquemment, explique Frank Andriat, dont la vie et le cœur se partagent aujourd’hui entre la capitale et la Gaume. Aussi, je l’ai vu évoluer, notamment sur le plan de l’immigration. Peu à peu, les commerces «belges» ont fait place à des magasins tenus par des Espagnols et des Portugais. Actuellement, ces derniers ont fait place à des épiciers arabes. Et c’est cela que j’ai voulu illustrer, cette succession, mais aussi cet échange de cultures.»
Un récit à trois voix
Rue Josaphat est un récit à trois voix. Rachid, âgé d’une quinzaine d’années, est amoureux d’Alexandra, une jeune Grecque. Avec ses potes, il frappe dans le ballon rond après l’école. C’est un ado sans histoires, et qui ne les cherche pas. S’il a insulté Joséphine Ladent, c’est un peu par hasard, parce que celle-ci a eu «une moue de dégoût». Rachid est arabe. Mme Ladent, veuve d’un socialiste militant, a viré sa cuti et vote pour l’extrême droit, encouragée en cela par un couple de voisins qui, s’il n’aime pas les enfants, aime moins encore «ces Arabes, ces Slaves, ces Polonais, ces Russes, ces Noirs, ces Jaunes qui nous envahissent.»
Enfin, «Monsieur K.» est dealer par nécessité : il vend la mort pour payer sa sienne.
Chronique du racisme ordinaire
Sur fond d’intrigue policière —les bijoux de Mme Ladent ont été dérobés— Frank Andriat analyse ce qu’il définit comme «une chronique du racisme ordinaire». Pour mieux exorciser les comportements xénophobes, il met leurs causes profondes au jour. «Joséphine Ladent n’est pas une méchante raciste, mais elle est dépassée, insécurisée et se laisse convaincre par le discours extrémiste.» fait remarquer Frank Andriat. A ce titre, la vieille dame seule s’oppose à une voisine, Madame Marie-Jeanne, «qui a assimilé l’évolution du quartier, la comprend et la vit sereinement parce qu’elle a retrouvé une famille, elle qui vivait seule, parce qu’elle a retrouvé la vie», commente encore l’auteur.
Avec Rue Josaphat, Frank Andriat signe aussi un plaidoyer «en faveur de la démocratie et d’une citoyenneté responsable». Pas étonnant lorsque l’on sait que le prof a publié avec ses élèves un Petit alphabet de la démocratie. C’était en 1996. Rue Josaphat vaut sans doute toutes les leçons de civismes et se révèle, pour le jeune public notamment, un vibrant appel à la solidarité, une chaleureuse invitation au partage des différences. «C’est un livre autant qu’un outil de démocratie» qui s’adresse à tous. A ce propos, on imagine bien Rue Josaphat succéder à La remplaçante—un autre roman de Frank Andriat qui a remporté un beau succès populaire chez les jeunes— en analyse de texte pour les classes secondaires du premier degré. Conseillé aux adolescents, il l’est donc aussi à leurs parents.
Jeunes héros à l’âge des premières amours, Rachid et Alexandra échangent de chastes baisers devant le buste d’Émile Verhaeren. Pour l’épigraphe, Frank Andriat a précisément choisi quelques vers du poète, qui traduisent bien l’état d’esprit dans lequel a été rédigé Rue Josaphat :
Admirez-vous les uns les autres
Admirez l’homme et admirez la terre
Et vous vivrez ardents et clairs
La vie est à monter et non pas à descendre
Nous apportons, ivres du monde et de nous-mêmes,
Des cœurs d’hommes nouveaux dans un vieil univers.
Le poète du square était visionnaire.
Philippe COLLING, L’Avenir du Luxembourg, 10 septembre 1999.
Consulter aussi l’article consacré à TABOU dans le même journal le 3 septembre 2003.