Confronté à la mort de sa mère, un quadragénaire va apprendre à se reconstruire. C’est le thème du dernier roman de Frank Andriat.
« Aujourd’hui, tu es morte, maman. » C’est l’annonce d’un deuil qui ouvre le dernier roman de Frank Andriat, Ta mort comme une aurore. Inévitablement, la résonance de ces quelques mots, le contexte, nous renvoient à notre adolescence, à nos années Camus. Pourtant, ce n’est pas de l’incipit deL’Étranger, l’un des plus célèbres de la littérature française – pour lequel, soit dit en passant, « Questions pour un champion » et « Trivial Pursuit » et « La littérature pour les nuls » ont fait beaucoup – dont il est ici question.
Rien à voir donc, mais voilà tout de même que, pour Brice Deveau, 43 ans, vieux garçon bien de sa personne, célibataire endurci et cependant fragile, tout vibrant encore de cet amour maternel inconditionnel, un monde s’effondre. S’il veut se sauver de son passé, Brice va devoir passer les souvenirs tronqués et les fausses certitudes au tamis de la vérité, pour comprendre comment il en est arrivé là, lui, fruit amer d’un viol.
De cette salutaire introspection, de l’ombre à la lumière, Frank Andriat fait le fil rouge de son nouveau livre.
Faut-il encore dire combien l’auteur, roman après roman, cerne au plus près ces âmes bringuebalées dans cet entre-deux qui va d’un état de crise – ici le décès d’une mère avec laquelle s’est engagé un amour fusionnel et exclusif – à une liberté enfin (re)trouvée – sans qu’il soit forcément question de rédemption ?
Au bout du tunnel
Chronique de ces jours fiévreux et déterminants pour un homme en quête de son identité, de sa liberté et de l’amour d’une femme qui soit autre que sa génitrice, Ta mort comme une auroreappartient sans doute aux textes les plus forts d’un auteur qui, invariablement, s’est fixé la quête du bonheur, comme seule issue valable. Ce tunnel qu’il lui faut traverser, Deveau en fait aussi l’expérience par la lecture d’un autre Tunnel, un classique de 1948 que l’on doit à l’écrivain argentin Ernesto Sábato.
Pour Deveau, modeste héros aux prises avec des contingences professionnelles dénonçant non sans humour le mépris d’une société qui nie l’homme pour obéir à l’argent, incarnées par un rond-de-cuir judicieusement nommé Lepitre, crever la bulle maternelle sera aussi crever l’abcès.
Fluide et colorée tout en sachant rester économe, comme une petite musique aux thèmes courts et parfaitement enchaînés, la prose de Frank Andriat porte son récit, et l’homme. Vidé de lui-même aux premières pages, Brice se nourrit et se remplit au fil des rencontres, littéraires (merci Delacourt, merci Bobin) et surtout féminines (Nuray l’infirmière, Albina, étudiante et prostituée, et surtout Naïma, fraîche échappée de la violence faite aux femmes).
Pour Andriat comme pour Aragon, il est une fois encore évident que la femme est l’avenir de l’homme. Aussi évident que l’aurore est le début d’un nouveau jour.
Philippe Colling, L’Avenir du Luxembourg, 8 mai 2018.
Ta mort comme une aurore, par Frank Andriat, 155 pages, Renaissance du Livre, 2018.