Rita STILMANT, Bien plus que des mots, LA MEUSE, 1-2 juin 1996.

Bien plus que des mots

Le petit alphabet de la Démocratie est un ouvrage surprenant

«ASSEYEZ-VOUS, on a des choses à se dire», accueille Yves Duteil, dans le Petit alphabet de la démocratie. L’ouvrage , issu d’une collaboration entre des étudiants de Schaerbeek et une vingtaine de personnalités des mondes littéraire, scientifique, politique,… vient d’être édité. «Les étudiants n’y croyaient pas» raconte leur professeur, Frank Andriat. Mais la magie a opéré.
23 étudiants de l’école communale de Schaerbeek ont participé à cette action. A côté de leurs noms, on découvre de nombreuses personnalités. «21 des 43 personnes contactées ont accepté de donner leur définition du mot proposé, une définition en rapport avec leur vision de la démocratie» explique le «jeune» écrivain Frank Andriat, également enseignant à Arlon. Bien sûr, le travail ne s’est pas fait sans mal. «Les étudiants ont choisi —parmi les mots sélectionnés— celui ou ceux sur lesquels ils voulaient écrire, détaille leur professeur. Les autres mots ont été proposés aux personnalités contactées.»
L’éditeur les a rencontrés à mi-parcours : «C’est souvent trop scolaire, parfois un peu bateau» leur a t-il assené. A partir de ce moment, les adolescents ont réagi. 70 pages d’idées, de vécu, d’émotions sont offertes au public par des «non-citoyens», comme ils se définissent eux-mêmes, conscients du fait qu’ils ne sont pas pris en compte par les politiques, lucides sur le fait qu’ils ne jouent aucun rôle à ce niveau. «Après un tel travail sur la démocratie, espère Frank Andriat, l’attitude de rejet qu’ils avaient adoptée à l’encontre du monde politique a sûrement évolué.»
De grands thèmes sont débattus au sein de l’ouvrage. La religion, la politique, la démocratie, le racisme sont traités avec beaucoup de nuance, de sensibilité. Les adolescents, tout comme les personnalités, en s’investissant dans la définition, offrent un moment d’émotion, suscitent la réflexion.
Tout au long du livre, le lecteur va de surprise en surprise. Parfois, c’est le désarroi. La révolte des jeunes, le pessimisme de certains adolescents interpellent. Le «suicide» de Laurent Rousseau effraye. Leur lucidité éclabousse. La franchise de leur témoignage déroute. «Seuls face à leur feuille, certains ont confié des sentiments, des expériences qu’ils n’auraient jamais avoués à leurs camarades» explique Frank Andriat. De fait, la définition du racisme que donne Abdelhakem Ben Addi fait réfléchir : «Maintenant, je change de trottoir à la vue d’une vieille: au moins ainsi, je ne lui fais pas peur.» Elle remet totalement en question les visions traditionnelles que notre société véhicule, visions que l’on retrouve d’ailleurs dans le texte d’Olivier Cailloux. La confrontation de positions différentes à propos du même thème enrichit. Que ce soient les définitions de deux adolescents, ou d’un étudiant et d’une personnalité comme c’est le cas pour démocratie. Si on s’attend au point de vue de Pierre Mertens, on est plutôt interloqué à la lecture de celui de Nicolas Wauthoz. Il en va de même avec les textes se rapportant à la religion. La position plus classique du catholique conforte le lecteur. Celle de l’agnostique l’oblige à s’interroger. Mieux, la témérité dont a fait preuve Abdelhakem Ben Addi dans la définition qu’il donne de l’Islam estomaque : «les points communs entre démocratie et Islam sont nombreux.» affirme-t-il.
Le Petit alphabet de la démocratie, brillamment illustré par des adolescents taggeurs, est loin d’être un ouvrage de tout repos. Tant mieux. «Plutôt que de faire grève, nous avons voulu marquer notre désaccord à propos des événements qui secouent le monde de l’enseignement autrement» souligne Frank Andriat. Effectivement, dans ce livre, une étudiante se penche sur l’éducation alors que Laurette Onkelinx définit la politique. En posant cet acte, les adolescents défendent une école ouverte à tous, une école où chacun s’enrichit des différences. La vente de ces ouvrages se fait au profit d’Amnesty International.

Rita STILMANTLa Meuse, Liège, 1-2 juin 1996.

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