Dans son dernier roman, Frank Andriat nous fait découvrir les bienfaits de la méditation à travers le personnage de Grégoire. Dimanchea rencontré l’auteur pour découvrir l’homme qui se cache derrière une œuvre empreinte d’humanisme et de bienveillance.
Ses premières émotions littéraires, Frank Andriat les a vécues avec Le Petit Prince, offert par sa maman qui lui en faisait la lecture. « On m’a dit, tu ne comprendras rien, mais c’est un beau livre et tu pourras le relire plus tard », nous confie-t-il dans un sourire. Adulte, il se délecte de « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez, qu’il a lu plusieurs fois. « Il a créé un monde plein d’humanité. Quelle écriture! » Mais celui qu’il préfère et dont il aimerait avoir la plume, c’est Christian Bobin, et son écriture-coquelicot. « Avant d’être une écriture, c’est une manière de s’émerveiller de toutes les choses et de toutes les personnes. Christian Bobin décrit tous les petits points de lumière qui passent dans nos vies. Quand les autres parlent de la tempête de neige, lui parle de chaque flocon. C’est la vie qui ne cesse de s’émerveiller. »
Pas de culture sans nature
Frank Andriat ne s’en cache pas, il n’affectionne pas les livres trop intellectuels. « On m’a déjà dit que j’écrivais avec le cœur, et pas avec la tête. C’est tout à fait vrai. J’ai besoin que ça chante à l’intérieur. » Pour autant, l’auteur n’est pas un nostalgique. Il rédige par exemple la plupart de ses œuvres sur son clavier d’ordinateur, lui qu’on imaginerait mieux le stylo en main courant sur le papier rugueux. Par contre, le professeur de français n’est pas enthousiaste face aux réformes othographiques qui, selon lui, « gomment les difficultés » – et les différences – mais ne les suppriment pas. Il dénonce même cette volonté, typique de la société actuelle de lisser les choses. « Alors plus rien n’existe. Simplifier l’orthographe, c’est aussi un déni de culture par rapport à l’histoire d’une langue. C’est vouloir effacer le passé et nos racines grecque et latine. » Il n’est également pas un fervent défenseur de l’écriture inclusive. « Même si je comprends l’idée, je trouve qu’il s’agit d’une complication intellectuelle inutile qui n’apportera pas grand-chose aux droits des femmes. C’est un vernis qui n’agit pas en profondeur. » Dans son dernier livre, deux personnages principaux se font face: Grégoire et le cerisier. On découvre dans ses pages une véritable ode à la nature, à son langage, à ses transformations. Pour Frank Andriat, la nature sans culture est possible alors que l’inverse paraît inenvisageable. « Une culture sans nature est déconnectée du vivant, désincarnée. Or c’est de la vie que peut naître la culture. Notre humanité se met grandement en danger en ne respectant pas le vivant, en ne préservant pas ce lien avec la nature… et la culture aussi ! » La popularité des Trump, Bolsonaro et autres climatosceptiques l’inquiète d’ailleurs beaucoup.
Être contemplactif
« Plus jeune, j’étais dans l’agir, le faire. Les accidents de la vie m’ont fait prendre conscience, à l’instar de Selma [personnage principal dans « Le bonheur est une valise légère »], que l’observation et l’accueil de ce qui est sont très importants. » Le capitalisme galopant où il faut toujours avoir plus, faire plus, nous mène droit dans le mur selon l’auteur. « La vie perd sa saveur si on ne prend pas le temps de s’arrêter pour la contempler ». Loin de vanter les mérites de l’inaction, Frank Andriat défend la posture du « contemplactif » car, comme il l’écrit dans ses « Méditations heureuses sous un cerisier du Japon, « méditer – ou contempler, ou prier – « c’est participer au monde des hommes en s’y impliquant en profondeur. » Il suffit d’ôter une lettre pour se rendre compte que la méditation porte en elle la médiation. Ainsi, de méditant qu’il était, Grégoire endosse finalement le rôle de médiateur. La contemplation, dans cette attention de tous les petits moments de la vie, nous permet donc aussi de poser des actes véritables, ancrés dans le présent. D’être dans l’action plutôt que de la subir et surtout lui redonner du sens, en étant à l’écoute du monde et de l’autre. Au risque, pour celui qui ignorerait totalement cette pratique, de passer à côté de sa vie. « Miser tout sur le faire et l’agir, vivre pour soi, ne pas nourrir son intériorité et ne pas regarder l’autre, c’est cela une vie manquée », estime Frank Andriat. Et pour atteindre la (les) béatitude(s) rien de tel que la gratitude, cette envie de dire merci à la vie. « Le merci ouvre un chemin de bonheur et la gratitude se penche sur toutes les petites choses. »
Communi(qu)er
Pour Frank Andriat, notre monde manque cruellement de deux choses, intimement liées : le silence et la communion. Lui-même a découvert cette nécessité du silence lors de retraites. « Nous sommes constamment tirés hors de nous-mêmes, sollicités en permanence. Or le silence permet d’écouter la vie. C’est le lieu par excellence de l’accueil. C’est du silence que naissent les choses. Que naissent aussi la méditation, la prière, la rencontre avec l’autre ou l’Autre. » Il ajoute encore : « Nous avons besoin du silence pour entendre le murmure de l’autre à l’intérieur de nous. Plus le monde fait du bruit, plus il fait taire l’autre »… et l’Autre. D’où également sa critique acerbe contre l’utilisation des smartphones – objets merveilleux en soi – qui, au lieu de nous relier, finissent par nous couper des autres. Avec le constat déprimant que nous vivons dans un monde de communications vides, stériles qui ne permettent plus la communion. Il élargit même le propos en affirmant que, paradoxalement, les moyens de communiquer aujourd’hui engendrent une déconnexion qui elle-même conduit à la déshumanisation et aboutit à l’exploitation du genre humain.
C’est en donnant…
Pour Frank Andriat, il nous faut réapprendre à donner, car « c’est en donnant qu’on finit aussi par se donner ». Offrir un sourire ne coûte rien. Celui à qui il est adressé peut bien entendu le refuser, mais aussi et surtout vous le rendre et c’est là que s’opère en quelque sorte la magie. D’un simple don, reçu et rendu, chacun se donne un peu. Et cet échange permet de sortir de l’anonymat. L’auteur regrette qu’aujourd’hui, « les gens prennent mais ne rendent plus ». C’est aussi en donnant qu’on peut ensuite pardonner. « Le fait de pardonner, on ne peut le vivre que comme une résurrection. Pardonner, c’est s’ouvrir à l’autre et à soi. C’est remettre les pendules à l’heure, l’humain au milieu des blessures. »
Après toutes ces années d’enseignement, le professeur de français conserve toujours cette envie de donner, transmettre, partager. Mais le constat suivant l’interpelle : « Quand j’ai débuté ma carrière, sur une classe de vingt élèves, deux seulement étaient en faveur de la peine de mort et les autres contre. Aujourd’hui, ce rapport s’est inversé. » Il déplore donc l’existence d’une pensée unique qui veut voir éliminer les « déchets » humains. Voilà pourquoi Frank Andriat développe un discours et une écriture bienveillants, prend soin de choisir les mots qui ouvrent des portes plutôt qu’ils ne les ferment. Cela ne l’empêche pas de fustiger une fois encore la société capitaliste qui voudrait évacuer toute spiritualité alors que cette question de la transcendance et de la recherche du bonheur est profondément humaine. Mais de défendre la liberté d’expression qui ne blesse pas. Pas étonnant que, pour Frank Andriat, le plus beau mot de la langue française soit le mot « accueil ».
Sophie Delhalle,DIMANCHE, 25 novembre 2018.