Entretien

Frank Andriat n’a malheureusement plus la possibilité de se rendre dans toutes les classes où il est invité. Voici, pour ceux chez qui il ne peut pas aller, des réponses aux questions que les adolescents lui posent le plus souvent.

Pourquoi avez-vous commencé à écrire ?

J’ai commencé à écrire à treize ans, quand j’étais en deuxième secondaire. Plusieurs raisons m’ont amené vers l’écriture. Premièrement, j’aimais beaucoup lire et je me posais de nombreuses questions sur l’univers des écrivains. Deuxièmement, j’avais la chance, à l’époque, d’avoir un professeur de français lui-même écrivain. Il s’agissait de Jacques Crickillon, poète, romancier, nouvelliste, aujourd’hui membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Je l’admirais beaucoup en tant que professeur et, même si à l’époque ses livres étaient un peu difficiles pour moi, je les ai lus. Quand j’ai écrit mes premiers poèmes, je les lui ai montrés et il a eu la gentillesse de les lire et de m’encourager à écrire encore. Ce fut pour moi très important et, sans son avis positif, je ne serais peut-être pas écrivain aujourd’hui. Enfin, je crois aussi m’être tourné vers l’écriture parce qu’à l’époque, je vivais une période difficile sur le plan personnel. En écrivant, je me libérais en quelque sorte : on peut tout dire à une feuille blanche et écrire était une manière d’apprendre à communiquer.

Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?

Je ne peux pas facilement répondre à cette question. Ça dépend évidemment du livre que je suis occupé à écrire : on met plus de temps à travailler un roman de trois cents pages qu’un récit de cent pages. D’autres paramètres entrent aussi en ligne de compte : mon travail de professeur, ma vie personnelle ne me laissent pas beaucoup de temps pour travailler à mes livres. Je profite donc des périodes de vacances, des week-ends ou, quand le besoin s’en fait profondément ressentir, je prends une année de congé pour me consacrer à mes projets d’écriture. Évidemment, cela n’est pas financièrement possible très souvent.

Pour donner un exemple précis, je peux vous dire que j’ai écrit La remplaçante en quinze jours. C’était lors d’une période de vacances, à Noël. Bien entendu, quinze jours, ça représentait le premier jet. Avant cela, j’avais longuement pensé à l’histoire, aux personnages. Ensuite, il a fallu relire le texte, le retravailler, comme il est bon de le faire lorsque vous rédigez une rédaction, par exemple. D’autres livres prennent beaucoup plus de temps; avant de commencer à écrire, il est nécessaire de maîtriser le sujet dont on va parler. Dans le cas de La remplaçante, c’était assez facile puisque je connais bien l’univers des écoles. Pour un roman comme La forêt plénitude, je suis parti seul dans la forêt, pendant une semaine; il fallait que je m’imprègne de l’atmosphère de la nature, à toutes les heures du jour et de la nuit et il était plus facile de le faire en étant dans la forêt qu’en restant dans mon appartement à Bruxelles !

Comment écrivez-vous ? Quelle est votre méthode de travail ?

En général, j’écris le matin. De huit heures à douze heures trente. Je m’installe à mon bureau, devant mon ordinateur et j’écris. Bien entendu, à ce moment-là, j’ai déjà un projet, je sais ce que je veux écrire. Avant de m’installer devant mon ordinateur, j’ai laissé mûrir le projet à l’intérieur de moi et, une fois que j’en ai saisi la musique, il ne reste plus qu’à le mettre en forme. Si je parle de musique, c’est parce que je crois qu’avant d’exister sur le papier, tout texte est d’abord le fruit d’un tremblement de la vie; pour moi, l’écrivain est celui qui se met à l’écoute pour tenter de saisir la note juste et pour la transcrire ensuite en phrases et en mots. Ce n’est pas évident à expliquer parce que c’est plus du ressenti que du rationnel. Je peux chercher la “note” qui va me permettre de démarrer une nouvelle, un roman pendant des mois, voire des années. J’adore marcher, regarder les gens vivre autour de moi, contempler la nature ou la ville. A un moment, il y a un déclic, une émotion, une phrase et je sens qu’à partir de là, je vais pouvoir créer quelque chose.

Ma méthode de travail, c’est donc de me “laisser être” jusqu’à l’instant où la vie m’offre un de ses fruits. Commence alors la période de travail; après l’inspiration, la transpiration ! Il faut réussir à tirer tout le suc du moment de lumière qu’on a reçu et ce n’est pas facile. Alors, je m’enferme, je me donne un horaire très strict : écriture le matin, relecture et décompression l’après-midi et, le soir, nouvelle préparation “psychologique” au travail d’écriture du lendemain. Je m’endors en sachant ce que je me donne pour objectif d’écrire le lendemain. Le plus dur pour moi, c’est de ne pas me laisser distraire, de demeurer dans le ressenti de mon projet. Maintenant, plus qu’avant, je m’offre de longues plages de temps libre où je sais que je ne devrai m’occuper de rien d’autre que de l’écriture de mon livre. Huit jours, quinze jours sans me laisser distraire par le courrier ou par le téléphone. Après, je laisse reposer ce que j’ai écrit pendant quelques mois, de façon à l’oublier le mieux possible. Vient ensuite le temps de la lecture critique et des corrections; il faut enlever toutes les fausses notes dans l’écriture et dans l’histoire.

Comment faites-vous lorsque vous n’avez pas d’inspiration ? Pensez-vous un jour que vous cesserez d’écrire ?

Quand je n’ai pas d’inspiration, je me promène, je nettoie, je repasse, j’écoute de la musique,… Je n’attends pas que l’inspiration vienne. Tant pis ! C’est que je ne suis pas disponible à ce moment-là. Je suis libre d’écrire ou de ne pas écrire; je n’écris pas pour subvenir à mes besoins financiers, j’écris pour mon plaisir et pour celui de mes lecteurs, c’est important. Autrement, je me sentirais peut-être obligé de trouver une idée, un sujet… Je ne sais pas si, un jour, je cesserai d’écrire. Actuellement, je ne le crois pas, mais je ne peux présager de l’avenir. Comme dirait l’autre, “on verra bien”.

Parmi les livres que vous avez écrits, lequel préférez-vous ?

Celui que je n’ai pas encore écrit ! Tout simplement, parce qu’existe alors l’enthousiasme de la création. Comment vais-je arriver au bout, vais-je réussir à terminer le livre ? Quelles surprises me réservent les personnages de celui-ci ? Si je suis obligé de choisir un de mes livres édités, je pense notamment au document consacré à Jean-Jacques Goldman, composé en 1992 avec mes élèves de l’époque. Ce fut une très belle expérience au niveau humain. Pendant plusieurs mois, les ados et moi, nous nous sommes vus tous les jeudis midi pour parler de Goldman et de ce que ses chansons éveillaient en nous. Nous avons vécu un véritable échange dont nous sommes tous sortis grandis. Comme quoi, le projet d’un livre peut rendre plus lumineuse la vie quotidienne. S’il s’agit d’un livre écrit seul, j’éprouve plus de difficultés à répondre : j’aime chaque livre pour des raisons différentes : Rue Josaphat parce que j’y montre combien il est important de partager ses différences, La remplaçante parce que c’est un appel au dialogue à l’école, La forêt plénitude pour la paix que l’écriture de ce texte m’a apportée. Tabou parce que je m’y mets à l’écoute d’une communauté mal connue et souvent méprisée. Et je pourrais citer d’autres exemples…

Pourquoi avez-vous écrit des livres avec vos élèves ?

Parce que j’essaie, comme je le peux, de rendre mon cours le plus vivant possible. Pourquoi ne pas faire profiter les élèves des ouvertures que j’ai en tant qu’écrivain ? Il est plus stimulant de réaliser un travail en sachant que celui-ci sera mis en valeur, sera édité, sera lu. Et ça invite aussi à beaucoup plus d’exigence ! Avec des projets pareils, le monde un peu fermé de l’école se confronte au réel. Il ne s’agit plus seulement d’obtenir une bonne cote, il faut aller au-delà. Lors de la rédaction du Petit Alphabet de la démocratie, je me souviens que mes élèves ont été très refroidis lors de leur première rencontre avec l’éditeur qui leur a gentiment expliqué qu’il attendait d’eux qu’ils soient plus vrais, plus profonds. Ils ont compris qu’il s’agissait de faire un travail qui dépassait l’univers de la classe et que ce qu’ils écrivaient serait lu par des milliers de personnes. Chacun de ces projets est un pari : quand, au début de l’année, nous nous y lançons, nous ne savons pas si nous réussirons à arriver au bout. Ça met de la vie dans la classe, la monotonie disparaît, les élèves apprennent à se battre pour un objectif commun, ils apprennent à s’écouter, à s’entendre, à vivre ensemble. C’est souvent une façon pour eux d’apprendre à se montrer plus solidaires. L’école débouche sur la vie, sur l’échange sans pour cela ne plus avoir d’exigences ! Au contraire ! Et pour moi, en tant que prof, c’est également stimulant.

Si vous deviez choisir entre le métier de professeur et celui d’écrivain, lequel choisiriez-vous ?

Les deux ! J’aime énormément mon métier de professeur qui me permet de demeurer en contact avec les jeunes et qui m’offre de partager mes enthousiasmes avec eux. Si je n’étais qu’écrivain, je souffrirais de ce manque de contacts. Quand on écrit un livre, on est seul. Les personnes que l’on fréquente font souvent partie du même milieu et, à la longue, cela pourrait être sclérosant. En tant que prof, je rencontre des dizaines de personnes différentes et aucune leçon ne ressemble à la précédente. C’est ce qui me plaît dans la profession d’enseignant, cet exercice d’équilibrisme sans cesse recommencé où l’on doit sans cesse donner le meilleur de soi-même. Je ne pourrais cependant pas être “que” professeur : l’écriture me procure un équilibre, une profondeur, de nombreux instants de silence et de contemplation qui me sont nécessaires pour être heureux.

En tant qu’écrivain, combien gagnez-vous ?

Cinq à dix % sur le prix de vente de mes livres, hors TVA. En clair, un exemplaire d’un livre que vous achetez 8,00€ en librairie me rapporte plus ou moins 0,64€ sur lesquels les contributions m’enlèvent environ 0,24€, ceci sans compter les frais que la rédaction du livre a occasionnés : achat d’un ordinateur, papier, cartouche d’encre, frais de photocopies et de timbres, quand ce ne sont pas des voyages nécessaires pour me documenter ou créer des contacts. Or, en Belgique, un roman qui se vend correctement se vend environ à mille exemplaires ! Autrement dit, écrire ne rapporte quasiment rien à moins de tout à coup avoir énormément de succès et de vendre des milliers d’exemplaires du livre écrit, de voir celui-ci traduit à l’étranger ou adapté au cinéma. Mais ça n’arrive qu’à très peu d’écrivains. J’écris avant tout pour le plaisir d’écrire, d’échanger des idées et je suis satisfait quand je remarque que ce que j’ai écrit apporte du plaisir à quelques centaines, voire quelques milliers de personnes. Si mes écrits devaient me rapporter de quoi vivre, je ne serais pas aussi libre et je crois que cette sensation de liberté est capitale, car elle permet de créer en toute quiétude, sans la moindre pression extérieure. Et si, un jour, mes livres connaissent un grand succès, tant mieux ! J’en serai d’autant plus heureux que je n’éprouverai pas le sentiment de m’être vendu.

En tant qu’écrivain, combien gagnez-vous ?

Cinq à dix % sur le prix de vente de mes livres, hors TVA. En clair, un exemplaire d’un livre que vous achetez 8,00€ en librairie me rapporte plus ou moins 0,64€ sur lesquels les contributions m’enlèvent environ 0,24€, ceci sans compter les frais que la rédaction du livre a occasionnés : achat d’un ordinateur, papier, cartouche d’encre, frais de photocopies et de timbres, quand ce ne sont pas des voyages nécessaires pour me documenter ou créer des contacts. Or, en Belgique, un roman qui se vend correctement se vend environ à mille exemplaires ! Autrement dit, écrire ne rapporte quasiment rien à moins de tout à coup avoir énormément de succès et de vendre des milliers d’exemplaires du livre écrit, de voir celui-ci traduit à l’étranger ou adapté au cinéma. Mais ça n’arrive qu’à très peu d’écrivains. J’écris avant tout pour le plaisir d’écrire, d’échanger des idées et je suis satisfait quand je remarque que ce que j’ai écrit apporte du plaisir à quelques centaines, voire quelques milliers de personnes. Si mes écrits devaient me rapporter de quoi vivre, je ne serais pas aussi libre et je crois que cette sensation de liberté est capitale, car elle permet de créer en toute quiétude, sans la moindre pression extérieure. Et si, un jour, mes livres connaissent un grand succès, tant mieux ! J’en serai d’autant plus heureux que je n’éprouverai pas le sentiment de m’être vendu.

Voulez-vous faire passer un message dans vos livres ?

Pas spécialement. Mais, à partir du moment où l’on écrit une histoire et que celle-ci véhicule certaines idées, le lecteur qui la reçoit peut en même temps recevoir un message. Mon objectif et mon plaisir sont d’écrire des histoires qui s’inspirent de notre humanité, de l’attention qu’il est bon de porter aux autres, du partage des différences, de l’ouverture à la vie intérieure. A partir de là, on pourrait dire que Rue Josaphat est un roman écrit pour offrir de l’espace aux autres. Il montre le racisme dans ce que celui-ci a de plus ordinaire, sans juger, mais le lecteur, face à la réaction de certains personnages, ne peut que prendre position en se disant ou en disant qu’il ne veut pas leur ressembler. Ainsi de L’amour à boire, du Journal de Jamila, voire de La remplaçante qui montre combien l’absence de dialogue conduit au désastre. Mes livres sont des portraits du quotidien; chacun peut s’y retrouver d’une manière ou d’une autre et chacun peut y pêcher le message dont il a besoin à ce moment-là. Je ne cherche donc pas à prouver quelque chose en écrivant, je ne donne pas de leçon de morale, je me contente de décrire les hommes tels que je les éprouve, avec le plus de justesse et le plus de respect possible.

Vous avez écrit des nouvelles fantastiques et trois romans policiers avec le scénariste de BD, Mythic. Vous avez écrit deux romans policiers avec André-Paul Duchâteau. Comment écrit-on un livre à deux ?

Mythic, alias Jean-Claude Smit le Bénédicte, et moi avons écrit ces histoires ensemble à la fin des années septante. C’est dire que ce n’est pas tout neuf ! Comme à Albert Ayguesparse, à Thomas Owen, à Jean Muno, à Jacques-Gérard Linze, à André Doms et à d’autres auteurs qui m’ont soutenu à mes débuts, je lui dois beaucoup. Mythic m’a appris à écrire des histoires alors que, personnellement, j’accordais plus d’importance au style, au sentiment… Je me souviens de moments de franche rigolade quand nous avons écrit nos textes ensemble : il était couché sur le tapis et me racontait des histoires que je tapais à la machine en leur donnant un semblant de style. Ensuite, nous revoyions les textes à deux et nous essayions d’accorder nos différences. Dans ce que nous avons écrit ensemble, l’important était de créer une histoire haletante, une intrigue vigoureuse et originale dans une langue correcte, sans être vraiment recherchée : je me souviens notamment que nous avons écrit Juridiction Zéro en cinq soirées !

Pour Manipulations et Intrusions, les romans écrits avec André-Paul Duchâteau et qui se déroulent à l’athénée Fernand Blum, le travail a été un peu différent. André-Paul a travaillé au scénario policier, nous nous sommes rencontrés plusieurs fois pour en discuter et, ensuite, sur base d’un premier jet écrit par lui, j’ai retravaillé l’histoire, je lui ai donné un ton. Nous avons rediscuté de mon travail avant d’aboutir au texte final. Ce fut une expérience très enrichissante et très amusante qui m’a permis de rencontrer un homme de qualité, généreux et amical.

Si l’on vous demandait de donner des conseils à un jeune qui veut écrire, que lui diriez-vous ?

J’essaie de ne pas donner trop de conseils. Ceux qui valent pour moi ne vaudront peut-être pas pour quelqu’un d’autre. Chacun est différent et c’est ça qui est intéressant. Ceci dit, je dirais à un jeune qui veut écrire d’aller où son coeur le porte, d’écrire ce qu’il aime et d’aimer de façon critique ce qu’il écrit. À partir de là, tout est permis. Beaucoup d’écrivains se prennent la tête et sont ensuite déçus s’ils n’atteignent pas une certaine notoriété ou, plus bêtement encore, s’ils ne réussissent pas à être publiés ! L’important est d’être fidèle à soi-même, de persévérer, d’écouter vibrer le monde autour de soi; si le livre que l’on porte est juste, il finira, un jour ou l’autre, par émerger de ces énormes tas de bouquins produits chaque année. Le monde de l’édition est cruel, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de cadeaux, il faut faire ce que l’on aime avec honnêteté et justesse, sans chercher à être reconnu. Être écrivain, ce n’est pas jouer un rôle d’écrivain, c’est d’abord être un homme tout simplement.