Paysages de la petite enfance, suivi de Bachir

Cyclope-Dem, Bruxelles, 1985.
Prix Marcel Thiry.

On ne parle pas de la poésie, on en fait, on la vit. Le poète n’est pas un être qui aligne des vers, des mots, un être qui fait de la musique sur la page blanche. Le poète, le vrai poète, c’est quelqu’un d’autre. Le vrai poète, c’est parfois quelqu’un qui n’écrit pas, c’est un être qui exprime à tout moment sa personne, son envie de vivre totalement.
Vivre la poésie, c’est d’abord ne pas avoir l’oeil tendu vers l’extérieur, vers les actes des autres. Vivre et créer, c’est aller au fond de soi, au plus profond de la solitude et de la peur; écrire, c’est éliminer le bruit que fait le monde pour écouter son bruit.
Il est difficile, dangereux de pénétrer au fond de soi : il faut sans cesse faire face. Faire de la poésie, c’est ça. C’est assassiner tout le superflu qui étouffe, qui empêche de voir clair. La poésie est une entreprise de clarification, la poésie nettoie, la poésie rend propre.
Le vrai poète n’est jamais silencieux, il n’arrête pas de se traiter de coquin. “Coquin, sale coquin, ouvre les yeux, tue la vermine qui te ronge. Vis. Le vrai poète, cet exigeant au coeur sensible, cet éternel apprenti de la solitude.
Bien entendu, autour, il y a le monde. Et le monde est insatiable, il ne laisse pas en paix, il fonce, serres ouvertes, sur le poète, il fait tout pour briser sa retraite. Mais le monde est pauvre, il agit en surface, il s’agite en surface. Chez le poète, la tourmente est intérieure, elle est profonde, interminable, collée aux tripes : quand il peut affronter —mais, coquin, sale coquin, ouvre les yeux, élimine !— la force de ses tempêtes, le poète se rit des coups de vent qui agitent la terre.
C’est pour cela que le vrai poète peut converser avec une rose pendant qu’on le traite de bon à rien.

extrait de Paysages de la petite enfance, Éditions Cyclope-Dem, 1985.

***

 Amarenta

au fond de toi
ma solitude
et la mer ses vagues folles
et ses bravades
mon chant de givre
à perte de regard
l’horizon et ses franges
Amarenta
au fond de moi
la violence
oh crépuscules Amarenta
entre chien et loup l’amour
les pays vierges de l’enfance
Amarenta Amarenta
au fond de nous
le sang

extrait de Bachir, in Paysages de la petite enfance, Éditions Cyclope-Dem, 1985.

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