Anne-Marie PIRARD, Le Journal de Jamila, LA CITE, 17 décembre 1986.

Le Journal de Jamila

Une jeune Marocaine de 17 ans tient son journal. Un témoignage. Un point de départ pour un dialogue entre jeunes, entre jeunes et adultes et aussi pour de nombreux cours.

« Qui suis-je ? Je désire plein de choses mais je suis incapable d’en parler. À qui pourrais-je d’ailleurs me confier ? Personne ne m’écoute… C’est pour cela que j’ai décidé de tenir ce journal : pour dire mes peines et pour me réconforter. Mon journal à moi toute seule, mon journal à qui je ne cacherai pas mes secrets. »

Jamila a 17 ans environ, un père au chômage, une mère soumise, deux frères et une petite sœur. Elle vit la situation de beaucoup de jeunes filles d’origine maghrébine de la seconde génération, coincée entre une société belge peu amicale et une famille sans ouverture sur le monde où elle vit.

Le Journal de Jamila est dû à Frank Andriat, un jeune professeur bruxellois de 28 ans : « Le Journal de Jamila est né d’un coup de cœur. La situation conflictuelle que vivent beaucoup de jeunes, et notamment de jeunes immigrés que je côtoie dans mon métier de professeur, m’a touché. (…) La réalité du Journal de Jamila, ce sont les sensations que j’ai éprouvées en discutant avec certains de mes élèves, avec des amis. Tout le reste est imagination. »

Dans le livre, l’auteur aborde les problèmes vécus par les jeunes : l’amitié, l’amour, la recherche de communication, de dialogue, l’envie de liberté… Il aborde de plus les problèmes spécifiques des jeunes immigrés coincés entre deux sociétés : « J’aurais dû naître avec une peau pâle, des yeux bleus et des cheveux blonds, j’aurais dû rester dans mon pays avec ma peau tannée, mes yeux bruns et mes cheveux frisés. Qui suis-je ? D’où suis-je ? Par ma mentalité, par mon éducation, ma sensibilité, je suis d’ici. Par la couleur de ma peau, par mes parents, je suis d’ailleurs. »

Il remet aussi en question le système scolaire actuel.

Le Journal de Jamila est le premier ouvrage de la collection « Lecture » des Éditions Le Cri qui veut donner la parole aux jeunes qui « se voient imposer des livres sans avoir le droit d’y participer » : le roman est suivi d’un dossier « Témoignages » où trois jeunes élèves de Frank Andriat traitent diversement plusieurs thèmes abordés dans le journal.

L’idée est intéressante et le roman bien fait en ce sens que nombre de jeunes pourront s’y retrouver. Parce que les mots sont les leurs, les idées aussi. Cela sonne juste même si, de l’aveu même de l’auteur, certains personnages comme celui du père, sont un peu outrés.

C’est aussi – et c’est d’ailleurs bien là sa vocation – le genre d’ouvrage type pour commencer une discussion avec des jeunes : on en tirera profit au cours de morale, de religion, d’actualités, dans les mouvements de jeunes… De nombreux thèmes peuvent en effet être abordés par le biais du livre : situation des immigrés, déchirement des jeunes de la deuxième génération, difficultés pour les jeunes filles arabes de s’épanouir, problèmes du logement, de l’alcoolisme et, bien sûr, tous les problèmes liés à l’adolescence.

Enfin, ce type d’ouvrage est à mettre entre les mains des jeunes qui lisent peu pour les inciter à la lecture. Il peut aussi être utilisé au cours de français comme approche de la littérature autobiographique et du journal.

Anne-Marie Pirard, La Cité, 17 décembre 1986.

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