Frank Andriat – La ligne claire du roman belge
On ne s’invite pas dans les livres de Frank Andriat. On s’y laisse inviter. Une grâce. Dans la chaleur et la simplicité d’une économie de mots, l’hôte écrit, décrit, rapporte la «vie». Une vie absolument plantée dans le réel d’hommes et de femmes qui nous sont proches. L’auteur n’habille jamais la vie de supercheries ou de fantasmes. Non, les livres de Frank Andriat se présentent comme de petits nœuds sensibles où les personnages goûtent, observent, respirent et touchent. On sait, en lisant, que l’auteur parle «vrai». Parce que les chemins d’ombre et de lumière qui s’ouvrent à nos yeux nous ressemblent intimement. Ils en arrivent à nous ressembler, ces chemins. On boit les livres de Frank Andriat comme on boit ceux de Christian Bobin : à petites gorgées, comme une tisane chaude. Oui, ces tisanes que préparent les véritables amis. Ces tisanes qui adoucissent le cœur et l’âme, avec une vraie présence dans le regard. A doses infimes d’une tendresse présentée sous forme de cadeaux. Frank Andriat, c’est la ligne claire.
L’auteur utilise une langue apparemment simple mais exclusivement architecturée selon l’objectif de la respiration. Les livres rappellent ces vins dont il est nécessaire de humer précisément chaque saveur. Phrase après phrase. Arôme du vin. Bouquet des mots. Ainsi se dévoilent la terre, la forêt, le sentier, l’étang, la rivière, la rue, l’embouteillage, le klaxon. Car Andriat partage son univers émotionnel entre campagne et ville, incessant mouvement pendulaire.
C’est l’auteur du don. Combien d’étudiants n’ont pas rencontré l’auteur infatigable, insatiable pèlerin ! Lors de ces rencontres, l’auteur parle, bien sûr, mais surtout il écoute. Il offre ses oreilles et ses sens à ce flux qui tremble, s’exaspère, s’amourache, se révolte, s’idéalise, s’enlumine. Et… face à l’auteur, ce flux trouve, ô paradoxe !, enfin «une voix où se dire». De ces voyages au plus vrai de l’adolescence, Andriat revient avec ces romans purs, lumineux qui, de plus en plus, ne font l’économie d’aucune réalité.
Andriat réapprend à respirer. Il souffle sur nos tourments. Il présente la main, invite et entraîne sur les lieux qui lui sont chers. Il dit «Regardez l’écureuil», «Regardez la fenêtre», «Regardez…». Quand un point termine une phrase, parfois tout un monde continue de résonner. Le nôtre bien sûr. Notre monde. Notre vie. Andriat ramène nos pieds sur terre comme après un très long voyage dans l’histoire et le temps. On réapprend le sens de vivre ensemble. Quant à mettre ses pas dans les siens, c’est accepter que la vie puisse aussi ne pas faire de cadeau. Il s’agit alors de la regarder comme on regarde l’écureuil. Alors, comme un cadeau venu du silence, Andriat propose: «Le plus beau cadeau, c’est la Vie, à elle seule, présente avant et après l’homme, il est utile de rendre hommage.»
Benoît COPPÉE, Espace Communication News, n° 22, Été 2000.