Cher homme-joie,
Je me suis installé dans le hamac, cette après-midi, avec votre livre. J’avais encore, au bout des doigts, un souvenir de framboises du dessert de midi et, au-dessus de moi, un vent léger faisait gracieusement frissonner les branches de l’aulne sous le ciel bleu. Je me suis abandonné au bonheur de vos mots transparents comme des ailes de libellule, à l’eau fraîche de vos phrases-tourterelles. Vos mots saveurs, sans les ombres des mots savants, me caressaient comme un rêve, ils étaient doux comme les lèvres de l’amour, ils m’assouplissaient si bien que, je vous l’avoue avec un rire, une fois ou deux, je me suis assoupi.
Le soleil jetait entre les feuilles des perles de lumière et votre livre, si bel objet contre mon cœur, si proche, si humain, m’enluminait. Quand on s’abandonne, on construit le vivant. Mes rêveries passées, je suis revenu vers vos récits, vos fulgurants émerveillements fleuris du bonheur des petites choses et des gens simples. J’ai savouré, sous le ciel bleu, votre ciel bleu, cher Christian Bobin, je me suis laissé prendre par la main, laisser conduire comme un enfant sur les chemins de votre respiration littéraire et vous m’avez donné de l’air, car, dans les mots et entre les mots, vous honorez la vie dans ce qu’elle a d’essentiel et de silencieux ; avec vous j’ai rencontré Maria la Voie lactée, Glenn Gould renard des neiges, Soulages le peintre noir, j’ai côtoyé un beau cheval émeraude et or, j’ai serré la main à votre papa escaladant l’édredon rouge pour embrasser son frère mourant et contagieux, avec vous, j’ai visité l’enfer des hommes actifs et des «esclaves milliardaires de Wall Street», avec vous, j’ai communié avec le Christ «le plus grand des poètes», avec vous, j’ai fleuri «la plus que vive» aimée et aimante, amoureusement pliée en chacune de vos phrases.
Votre livre chante la joie avec la grâce d’un coquelicot. Avec vous, j’ai vécu des minutes suspendues et une après-midi comblée de grâces. Vous m’avez offert bien du bonheur, cher homme-joie, et, lorsque j’ai quitté mon hamac pour venir vous écrire cette lettre, le ciel bleu éclatait encore comme une carte postale, mais, par la magie de vos phrases, il avait aussi fait son nid dans mon cœur. Le cadeau que vous offrez à vos lecteurs est précieux, cher Christian Bobin, d’autant plus que vous l’offrez tout simplement, en souriant.
Frank Andriat
Christian Bobin, L’homme-joie, L’Iconoclaste, Paris, 2012.