Vocation prof ? Frank Andriat vient de publier un livre qui est une bonne action.
Je l’ai lu d’une traite, emballé, enthousiaste, «interpellé» comme on dit si mal. Vocation Prof (Éditions Labor), vraiment, fait partie de ces livres trop rares que l’on quitte plein d’énergie, débordant d’enthousiasme et rassuré.
De quoi s’agit-il ? D’une série de confidences tirées de vingt années d’enseignement. Des anecdotes, des réflexions, des points d’exclamations, des points d’interrogation. Pas un ouvrage de pédagogie, pas une tarte à la crème dont nos spécialistes en éducation ont le secret. Une tarte aux fruits du verger, plutôt, que le pâtissier Andriat n’a pas fabriquée à partir d’une recette maison, mais en tâtonnant, en s’interrogeant sur une pâte qui lève mal, sur un four qui ne chauffe pas assez. Bref, Frank Andriat ne se prend pas pour un ministre de l’éducation. Lui, il n’a pas de recettes toutes prêtes qu’il faut modifier à chaque nouvelle lune. Il sait que ce n’est pas dans les livres qu’on apprend son métier. Sauf peut-être… Sauf peut-être dans un livre comme celui de Frank. Bon Dieu, si j’avais pu lire un livre comme celui-là, quand j’ai commencé ma carrière de prof, il y a exactement quarante ans en ce début de septembre !
Donc, un livre que DOIVENT lire, d’urgence, tous ceux qui se destinent au métier d’enseignant. Pour qu’ils sachent que ce n’est pas un métier facile, qu’ils ne seront guère aidés par les parents, par les responsables, par les traités de psychologie… Qu’ils ne seront aidés que par eux-mêmes. Et surtout, surtout, par leurs élèves. Pour qu’ils sachent que si le métier est, comme le dit avec raison Frank Andriat, «le plus beau du monde », il est aussi un des plus difficiles, un des plus exigeants, un des plus dérangeants.
Il faut que les futurs instituteurs, les futurs profs, les futurs éducateurs sachent qu’ils n’auront devant eux qu’un drôle de choix : se rendre compte qu’ils n’étaient pas faits pour ça, et vite, vite, changer de métier, tant qu’il est encore temps. A moins que, comme Frank Andriat, ils soient disposés à admettre que la priorité des priorités n’est pas le programme, la culture, la technique, mais l’ÉCOUTE des élèves. (L’auteur cite fort à propos Jean-Jacques Rousseau : «Pour faire écouter ce qu’on dit, il faut se mettre à la place de ceux à qui l’on s’adresse.»)
Troisième possibilité : en cas d’échec, si l’on ne veut pas changer de métier, eh bien… se flinguer. Clair, non ? Mais le dit-on aux futurs enseignants ?
Frank Andriat souligne d’ailleurs avec beaucoup de pertinence à quel point on prépare mal, très mal, les futurs profs à leur métier. Tant pis si c’est dur à avaler pour des profs de pédagogie qui enseignent, au milieu d’un chahut monumental, comment on obtient la discipline. Ou à ces profs de français qui croient qu’on fait entrer la grammaire comme on gave une oie, etc.
Vocation prof est un livre que les formateurs d’enseignants seraient impardonnables de ne pas analyser avec leurs élèves. De la lecture du livre devront naître des questions, des peurs, des discussions qui seront du plus grand profit.
Et, ma foi, je crois que les professeurs en service feraient bien de lire le livre eux aussi. Ceux qui sont d’accord avec l’auteur auront le plaisir de s’applaudir (c’est parfois nécessaire). D’autres réfléchiront peut-être, pourquoi pas ? au fait qu’un enseignant qui a des échecs ne doit pas considérer cela comme une réussite pour lui. (Un chirurgien qui rate une opération ne va quand même pas toujours accuser le malade…)
Je recommanderais aussi le livre aux parents. Ils auront peut-être, après lecture, un peu plus de considération pour ceux qu’ils prennent trop souvent comme des domestiques pédagogiques. Oh que je suis heureux de voir avec quelle aisance Frank Andriat explique que son métier exige non seulement beaucoup d’engagement, mais aussi un nombre d’heures d’activités que l’on ne soupçonne pas au-dehors. Dans quel métier, accepte-t-on de travailler plus de soixante heures par semaine (mais si, mais si) en n’étant souvent payé que par le dédain ou le mépris, au mieux par l’incompréhension? J’en parle à l’aise moi qui ne suis plus du métier. Ceux qui doutent de la fatigue nerveuse que procure l’enseignement, ils n’ont qu’à demander à s’occuper pendant une heure d’un groupe de jeunes…
Et les élèves… Eh bien, les élèves liront aussi ce livre avec profit. Ils auront envie d’avoir un Andriat comme prof. Peut-être seront-ils plus indulgents envers certains maîtres qu’ils accusent trop vite de ne pas les comprendre. Peut-être seront-ils d’accord avec l’auteur : la discipline, les règles à respecter, l’effort, cela n’empêche pas le dialogue. Et si le prof ne l’entame pas, pourquoi le jeune ne tenterait-il pas une amorce? Je rassure d’ailleurs tout de suite les jeunes qui auraient peur d’aborder le livre : le style est vivant, alerte, les anecdotes nombreuses et les occasions de sourire ou même de rire, pas si rares.
Peut-on souhaiter livre plus utile en cette période de rentrée ?
Moi, en tant cas, ma conviction est faite : même s’il est difficile de comparer un ouvrage de ce genre et une œuvre de fiction, avec Vocation prof, Frank Andriat a signé son meilleur livre.
Claude RAUCY, Publivire, 13 septembre 2001.