Se laisser rejoindre
Inépuisable Frank Andriat. Dans son dernier roman, Pont désert (Desclée de Brouwer), qui s’ouvre comme un trésor dont les perles brillent à chaque page, il nous convie à une réflexion sur la solitude. Et sur l’essentielle solidarité d’une présence aussi discrète que persévérante.
Julien de Gorcy, la quarantaine naissante, est un raté : un père absent, une mère étouffante de tristesse, la fuite à Paris à vingt ans, des petits boulots, une vie étriquée en lisière de misère. À l’intérieur, une détresse sans fond, trame d’un seul cri : «Je veux vivre». Un banc du pont des Arts pour «bol d’oxygène».
«Jusqu’à ce matin de mai où je n’avais pourtant pas prévu d’être heureux.» Combien de matins pareils en nos vies ? Nous prévoyons tout, et le bonheur, s’il vient, c’est par surcroît. Par surprise. Pour Julien, il vient par l’autre, son regard de tendresse qui le rejoint au plus bas : «Je t’ai laissé venir à moi parce que j’avais lâché jusqu’au désespoir». «Tu m’as simplement offert ta présence. Ou c’est plutôt moi qui ai soudain été capable de m’ouvrir à elle.» Disponible celui qui, se sachant pauvre, se laisse rejoindre en ce lieu où les apparences n’ont plus cours : «Qui on est se passe d’étiquettes. Qui on est s’éprouve à l’intérieur».
Le maillage de nos vies n’est pas si serré qu’il ne laisse, ici et là, quelques trous. Tout petits, certes, mais où passe la grâce. Celle de se savoir regardé et aimé, d’exister dans le regard de l’autre. «Sans les autres, pas de salut. (…) On demeure vide sans la rencontre.» Sans cet Autre qui s’assied en silence sur le banc, tout proche. Présence qui comble. Solitude rejointe. En tout temps. En tout lieu.
Geneviève de Simone-Cornet, Se laisser rejoindre, Écho magazine, Genève, 29 avril 2010.