Frank Andriat nous plonge dans son univers poignant où le conte n’est pas dédié qu’aux enfants !
Frank Andriat, auteur belge, qui partage sa vie entre l’enseignement et l’écriture de romans et d’essais, mais a aussi publié des poèmes, aurait dû dédier son livre au pape François dont il épouse à merveille les principales orientations : option préférentielle pour les plus pauvres d’entre les pauvres, et voilà une belle dame qui s’assoit à côté d’une mendiante et change sur elle le regard de la foule. Injonction aux gens qui ont acquis un certain niveau de stabilité et d’aisance de sortir de leur milieu et d’aller aux « périphéries », et les voilà caricaturés par trois vieilles dames trop méfiantes à l’égard de leurs nouveaux voisins, des « sans-papiers » exemplaires. Honte à l’Europe qui ne s’ouvre pas suffisamment aux migrants ! Et deux contes sont consacrés à la manière dont ils sont accueillis. Éloge de la famille dans tant de ses allocutions, et voilà deux histoires de femmes abandonnées dont l’une trouve sa consolation dans ses enfants et tandis que l’autre ne trouve même pas l’oubli dans l’alcool, histoire d’un Papy qui vient de perdre sa Mamy mais qui heureusement a un petit fils, histoire d’un être bien aimé qui a sombré dans le coma et dont il faut le tirer… Importance du dialogue interreligieux : voilà Mansour, l’exilé afghan, qui a trouvé en la personne d’Audrey, Lilloise exilée à Bordeaux, son « oiseau sur le bord de la fenêtre », et qui est présenté sous le jour le plus sympathique, soigneusement distingué de ces « fous » sanguinaires d’islamistes. Bref dix histoires parfaitement contemporaines qui peuvent être dites « contes » en ce qu’elles disent brièvement quelque chose de la condition humaine. Mais contes de Noël ? Certains ne parlent même pas explicitement de cette fête. Mais implicitement, oui ! La grâce de Noël est bien d’ouvrir les cœurs à la vue d’un pauvre et divin enfant couché sur la paille d’une étable. Et c’est justement, dans chaque conte, cette ouverture de cœur d’un des personnages, qui, parfois à son insu même, dénoue la situation bloquée ou tragique de l’autre, et fait sourdre la joie.
Références bibliques
Ces courtes histoires auraient pu n’être que platement édifiantes. Il n’en est rien ! Elles évitent ce risque de deux façons. La fin n’est jamais attendue. Elle réserve toujours une surprise. Exemple : est-ce le père qui est au chevet de son fils dans le coma ? Eh, non ! Le fils n’était que légèrement blessé, alors que le père, dans sa précipitation et son inquiétude a eu un accident beaucoup plus grave sur la route de l’hôpital. C’est le fils qui le veille en espérant et en obtenant son retour à la vie, réciprocité qui oblige ces deux hommes, abandonnés par celle qui était l’épouse et la mère, à se dire davantage leur profond amour mutuel. Le conte intitulé Chère Marie semble être une méditation sur la photo d’une femme bien aimée. Eh, non ! On comprend à la toute fin qu’il s’agit d’une image de la Vierge Marie.
Une écriture, sa signature
Et puis il y a le style très travaillé, très littéraire, allusif, poétique, qui dessine les personnages par petites touches, pratique légèrement le monologue intérieur. Dans le conte intitulé Je t’… une adolescente de treize ans exprime son désespoir, sa rage de n’avoir pas connu son père, une écriture proche de celle de Michaux. Rien de mieux pour conclure que de lui donner la parole : « Je t’en veux, oui je t’en veux. Je t’appelle, je t’imagine, je t’attends, t’attends, t’attends. À temps, tu n’es jamais arrivé, jamais. … Tu te tais, je t’écris, tu étais. Je t’ai cri… Il y a cent toi en moi, et le sang de toi, et sans toi. Tu es tellement présent, même si tu n’es pas là… »
Jacqueline Picoche, Aleteia, 15 juin 2016.