Jean-Marc CECI

          Cher Jean-Marc Ceci,

          Je me suis arrêté.

          J’ai contemplé le silence.

          Je me suis déplié.

          Je vous ai lu et j’ai oublié les mots bavards. Pour en rencontrer d’autres. Ceux qui poussent en soi et qui conduisent vers l’essentiel, vers la lumière mais aussi vers les parts d’ombre.

          J’ai respiré, Jean-Marc. En compagnie de Kurogiku, de Casparo et d’Elsa. J’ai rêvé à la panthère noire qui a plié, en une seconde, la vie de votre héros, qui l’a conduit du Japon en Toscane et qui l’a fait s’asseoir, pour arriver un jour, parce qu’il a ouvert un dialogue avec un autre que lui-même, à découvrir les mots précieux que son père avait notés dans un flocon de neige.

          Tout simplement. Maintenant. Comprendre. J’ai cueilli, dans vos mots et entre ceux-ci, dans l’immobilité silencieuse qu’ils créent, une part de beauté. La mienne. Parce que vos phrases n’imposent rien, parce que vous offrez à votre lecteur de se poser, parce que vous lire ne nous exporte pas vers vous, mais nous importe vers nous. Vous ne nous conduisez nulle part, vous nous accompagnez.

          Monsieur Origami m’a ravi. Le temps s’est figé. Mieux vaut le contempler que le mesurer. Casparo l’a bien compris. Mieux vaut se taire ensemble que parler. Nous nous sommes tus ensemble et Monsieur Origami, votre beau roman, m’a rencontré. Vous n’écrivez pas avec la tête. Vous écrivez avec le centre de vous, là où vous respirez, là où se situe votre équilibre. Et c’est pourquoi vos silences (j’inspire) et vos mots (j’expire) créent l’harmonie, un sentiment de plénitude qu’un livre produit rarement parce que, souvent, les auteurs se noient dans le flot même qu’ils engendrent.

          Vous pas. Vous êtes là, simplement. Vous observez. Le temps. Chaque engrenage. Chaque pli. Vous vous confiez au blanc. À la présence de ce qu’on n’écrit pas, mais qu’on vit. C’est pour cela que votre roman est fort. Il vit au rythme de chacun des lecteurs qu’il a. Je l’ai lu deux fois. C’est rare. Je vais le lire encore. Et chaque fois, je découvrirai un autre livre que celui que j’ai lu. Parce que Kurogiku regarde le monde, tente de comprendre comment il est plié. Et comment, après qu’on l’a déplié, il n’est pas chiffonné.

          Votre roman est généreux. Il donne, il ne prend rien, il sème et il permet de grandir. Il est présent. Comme Elsa. Elle est importante, Elsa, parce qu’elle accueille ceux qui viennent et prend soin de ceux qui restent et de ceux qui partent. Elle est ici et maintenant tout en conservant la juste distance. Celle de l’amour qui se déplie au fil de temps. À quoi sert-il d’avoir si être nous manque ?

          D’habitude, un livre qui a du succès a beaucoup de lecteurs. Grâce à vous, un lecteur reçoit beaucoup de livres : celui que vous avez écrit, mais tous ceux qui naissent de lui, ceux que l’on peut créer en pliant mille et une fois vos mots. Comme un origami.

          Cher Jean-Marc, c’est du grand art. Celui de la paix et de l’harmonie.

 

Frank Andriat

 

Jean-Marc Ceci, Monsieur Origami, Gallimard, 2016.

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