Lamia BERRADA-BERCA

© Stefano Berca

                Chère Lamia,

           Vous m’avez ému, vous m’avez fait réfléchir, vous m’avez donné envie de mieux m’ouvrir à l’autre, de l’accueillir avec un cœur plus grand, de lui murmurer avec tendresse que la liberté appartient à tous et que chacun de nous a le devoir de l’offrir chaque jour un peu plus à son voisin pour que l’âme du monde soit moins obscure.

            Votre court roman devrait être lu par les femmes parce qu’il chante combien chacune est belle, par les hommes aussi, les justes et les brutaux, parce qu’il raconte combien chaque épouse est pour son mari une terre où grandir.

            Vous écrivez, Lamia, avec les mots du cœur et vous allez à l’essentiel : une petite robe rouge et quelques phrases de Kant vous suffisent pour faire fleurir une vie et l’extraire de la prison de chair et de silence où elle s’invente des péchés. Il vous suffit de quelques traits, d’un bouquet de mots doux et simples pour mener votre jeune héroïne vers les frontières du désir, du plaisir, du bonheur : y touchera-t-elle, n’y touchera-t-elle pas ? Osera-t-elle sa voix, tracera-t-elle sa voie ? Fera-t-elle le saut quantique auquel l’invite le rouge du tissu et les mots du philosophe des Lumières ?

            Passer de l’obscurantisme à l’espérance. Laisser se diffuser l’amour et la vérité au creux de l’intime. Apprendre à habiter son corps, mais aussi son âme. Être soi, oser son existence, être une personne dans un univers où, dès la naissance, les femmes n’existent pas. Ne plus vivre comme une « image-ombre », quitter un rôle pour devenir une personne et s’octroyer la liberté de rêver et de jouir de la vie.

            Chère Lamia, votre livre a la beauté de l’aurore lorsqu’elle déshabille précautionneusement la nuit. Comme elle, vous procédez par petites touches de lumière. Votre rouge n’éblouit pas, car vous le distillez avec patience, avec sagesse, avec affection. Et, à la fin, il est là, comme un soleil souriant qui a évacué le noir. Votre belle épouse apprivoise la liberté, l’audace d’être simplement elle-même dans un monde où elle ne l’a pas appris. Sa touchante petite fille, l’institutrice de celle-ci, son voisin, la vendeuse aux ongles vernis chocolat, les phrases de Kant lui offrent de se libérer de la tutelle des autres, de leur ignorance meurtrière, de leur barbarie.

            Merci d’offrir à Aminata de pousser son « rouge-cri ». Vous exprimez, avec une superbe retenue et d’autant plus de force, votre grande colère de voir ces femmes qui frôlent les murs en baissant les yeux parce que des hommes imbus de leur pouvoir et dégoulinant de bêtise criminelle cultivent leur peur de la vie et de la liberté. Merci, chère Lamia, d’ouvrir la parole, d’élargir l’horizon avec l’écriture, merci de créer des ponts qui permettront de cheminer plus loin.

            J’aime ouvrir votre roman au hasard et me laisser charmer par la lumière de vos délicats coups de pinceau. Vos phrases sensuelles colorent l’existence, nous sortent du confort réducteur de l’imbécillité, entaillent l’obscur et y creusent des sillons de clarté. Avec Kant et la petite robe rouge, en une langue sobre et ailée, vous caressez la vie dans ce qu’elle a de plus essentiel : l’amour, le respect de soi, la liberté et l’espérance.

Frank Andriat

Lamia Berrada-Berca, Kant et la petite robe rouge, Éditions La Cheminante, 2011.

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