Michel JOIRET, Un roman d’amour clair à deux pas d’ici, LE NON-DIT, n°44, octobre 1999.

Un roman d’amour clair à deux pas d’ici

Né en 1958, Frank Andriat enseigne le français à Schaerbeek. Il est l’auteur de romans et de nouvelles qui accordent simplicité, clarté et vérité. L’auteur du Journal de Jamila (Le Cri, 1986 et 1992) a trouvé un ton nouveau pour évoquer les multiples facettes de l’adolescence. L’approche de ces ados si réels qu’on a le sentiment de les toucher, si vrais qu’on se prend à les aimer, n’est pas sans nuances. Frank Andriat relève en pédagogue la difficulté d’être dans les villes et il démonte inlassablement le mécanisme pervers du racisme. Généreux, mais sans naïveté, toujours à l’écoute de ces jeunes qu’il fait parler dans des pages grouillantes de vie, Andriat ne mène pas une croisade mais il s’impose peu à peu dans un registre bien difficile que beaucoup ont approché mais que peu ont réellement illustré. Avec ses élèves, Frank Andriat a réalisé un document sur Jean-Jacques Goldman et Le petit alphabet de la démocratie. Il a également traduit en français des écrivains argentins, espagnols et mexicains.
La rue Josaphat grouille de monde. Tout un univers apparemment ouvert à d’autres mais le plus souvent secret, tente d’exister à travers les différences culturelles, sociales et économiques. Rachid et son copain Juan. La vieille Joséphine Ladent. Monsieur K. Et Big Michel. Et le petit Mehmed. Daniel et Marie-Claire, eux, qui n’aiment que ce qui est blanc de blanc. Un soir, on vole les bijoux de Joséphine; un cambriolage bien propre, presque parfait… Alors que la police suit une piste bien mince, Rachid rencontre Alexandra. Elle est belle, blonde et sensuelle. Il lui donne rendez-vous au parc, devant la statue d’Émile Verhaeren.
Ce merveilleux roman plonge dans l’univers des adolescents avec une générosité et un enthousiasme exceptionnels. On devine que l’auteur vit une histoire d’amour sans fin avec les ados qui lui sont confiés, qu’il se tient à leur écoute et qu’il les retrouve dans leurs jeux, leurs colères, leurs contradictions et leurs angoisses. La langue est le reflet même de leur vérité. Pas de provocation gratuite en la matière, de débordements faciles, pas d’explosion verbale gratuite; le ton est juste et le reste dans le déroulement d’une intrigue tout à fait crédible. Les héros sont ici les gens de la rue, saisis dans leurs gestes quotidiens, leurs fantasmes et aussi leurs erreurs d’appréciation. Frank Andriat prend résolument le parti de la jeunesse. Probablement parce qu’il ne voit pas l’avenir autrement. Il engage avec les ados un dialogue-vérité qui force les barrages et gravit un à un les échelons de la confiance. Un tel roman surprend par sa rigueur. Car au-delà de l’oralité qui fait la part belle à l’écriture spontanée, il y a le fil rouge de l’intrigue qui ne se rompt pas, il y a le souffle qui ne faiblit pas et puis il y a l’homme qui s’interroge sur le sens de la propre vie. Que retiendra-t-il de cette humanité qui lui monte à la gorge ? Résoudra-t-elle ses propres interrogations ? Andriat vit intensément à travers ses personnages jeunes qui l’entourent. Il se cherche avec eux en même temps qu’il vit en leur compagnie une authentique histoire d’amour.
Rares sont les romans qui ne trichent pas. Rue Josaphat est de ceux-là. Nourri d’une âme aux têtes multiples, il est aussi le garant d’un incontestable mobilité. Andriat va dans le sens de la marche, il avance avec conviction sans piper les dés du réel. Moins romancier que chroniqueur, il dépasse cependant la simple relation du réel par la qualité des moments volés à l’intimité de ses personnages, par le choix judicieux du décor qui renforce l’édifice, par la symbolique des pavés culturels qu’il jette dans la mare de la complaisance. Bien des adolescents liront ce très beau roman et retrouveront sans doute les mots qui leur viennent (ou qui leur ont manqué). Ils se retrouveront aussi dans le meilleur et le plus tendre d’eux-mêmes, laissant pour un temps les apostrophes velléitaires et la violence larvaire. Avec Rue Josaphat, ils découvrent un banc pour poser leur sac. Quant aux aînés, ils traceront peut-être une ligne entre l’environnement qui leur échappe et le monde qui se rapproche.
Depuis le Journal de Jamila, Frank Andriat prépare sa révolution tranquille sans complaisance mais avec une qualité d’amitié incomparable. Aujourd’hui il prend place parmi les romanciers les plus authentiques et les plus habiles. Rue Josaphat est en prise directe avec l’actualité, une croisade blanche contre l’extrémisme et la bêtise. Conseillé à partir de la deuxième année de l’enseignement secondaire, il peut être utilisé fort heureusement pour ses différents niveaux de langue. La voie qui s’ouvre aujourd’hui n’est évidemment pas qu’un chemin d’écriture. Mais si le plaisir est vif, c’est que l’artiste est aujourd’hui en pleine possession de son art. La rue Josaphat ne sera décidément plus une rue comme toutes les autres; elle prête sa belle voix métissée à bien des idées neuves…

Michel JOIRETLe Non-dit, n°44, octobre 1999.

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