Sonia SARFATI, Frank Andriat : prof qui écrit ou écrivain qui enseigne ?, LA PRESSE, Montréal, 25 novembre 1997.

Frank Andriat : prof qui écrit ou écrivain qui enseigne?

Frank Andriat est professeur de français dans un lycée de Schaerbeek, près de Bruxelles. Professeur donc. Mais aussi, écrivain. Écrivain à un point tel que sa passion a fini par déteindre sur ses élèves : au fil des ans, trois de ses classes ont écrit et ont été publiées. Sur des sujets aussi fondamentaux que la démocratie et les droits de l’homme.
Des aventures exaltantes. Mais paresseux, s’abstenir ! «J’agis et puis parfois, je réfléchis.», plaisante Frank Andriat lorsqu’il se revoit, en train de lancer l’invitation à ses élèves. Représentant la Communauté française Wallonie-Bruxelles au Salon du livre de Montréal, le romancier se souvient en effet fort bien des événements entourant la publication de Frères, libres et égaux (un recueil de textes qui vient d’être lancé dans la nouvelle collections Couleurs, des éditions Memor).
«Je ne voulais rien leur imposer. Ils sont partis dans toutes les directions, en particulier dans un genre de «dragonball» mettant en vedette une carotte magique.», raconte-t-il. «Au bout de quinze jours, ils m’ont dit trouver cela un peu con et m’ont demandé si je n’avais pas une idée à leur proposer.» Comme par hasard (!), il en avait justement une. En 1998, la déclaration universelle des droits de l’homme fêtera son cinquantième anniversaire. Pourquoi ne pas réfléchir, par écrit, sur le sujet ? Et sur le ton désiré : intimiste, réaliste, fantastique, policier, absurde. Le résultat ? «Il y a là-dedans des textes que j’aurais aimés écrire», indique Frank Andriat. Il le dit simplement, et avec beaucoup de respect. Ses jeunes, il les aime. Il aime leur apprendre. Autant qu’il aime apprendre d’eux.
De cet élève marocain, par exemple, qui dans Petit alphabet de la démocratie, a raconté, sou le mot «racisme», comment il changeait de trottoir quand il voyait une vieille dame venir vers lui : il ne voulait pas lui faire peur. L’adolescent expliquait aussi comment, en sortant de l’épicerie, il se sentait obligé de lisser son manteau pour montrer qu’il ne cachait rien dans ses poches. « J’ignorais cela. Les autres étudiants l’ignoraient aussi. Cela nous a tous remués», murmure le romancier.
Car, ne l’oublions pas, Frank Andriat est romancier. Un romancier qui enseigne ou un professeur qui écrit, selon la perspective. Dans la collection Couleurs, qu’il est venu faire découvrir aux adolescents d’ici, il signe deux titres : La forêt plénitude, un récit initiatique tout en douceur et en tendresse et La Remplaçante, un roman réaliste, «qui ne raconte pas ma vie de prof, car je n’ai jamais été chahuté !» lance-t-il en riant.
Et on le croit : ne vient-il pas d’expliquer que, pour lui, le premier pas vers l’élève se fait en direction de l’humain et du dialogue : «Après, la matière passe», assure-t-il. Ainsi, La Remplaçante, raconté d’une plume alerte et parfois assez acérée, suit Raphaël et ses copains aux prises avec madame Grivet, la remplaçante de mademoiselle Laurent (et les gars insistent sur le «mademoiselle»), leur chouchou à eux. En quelques mots, disons simplement qu’ils décident de faire la vie dure à l’intruse. Ils vont y parvenir.
«Certains enseignants ont trouvé ça scandaleux parce que je donnais tous les trucs pour chahuter.», reconnaît Frank Andriat. Les jeunes, ont par contre adoré l’histoire. Ont, donc, adoré lire. Le temps (au moins) d’un livre. Ce qui n’est pas rien.

Sonia SARFATILa Presse, Montréal, 25 novembre 1997.

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