Hirondelles

nouvelles,
Pré Aux Sources, Bruxelles, 1989.
Prix Sander Pierron de l’Académie Royale de Littérature en 1990

En publiant ce recueil de Frank Andriat, Bernard Gilson a misé sur la jeunesse, la candeur et l’humour. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Andriat est un de ces auteurs chez lesquels l’envers du décor est plus intéressant que le décor lui-même. D’un côté, la légèreté du style ; de l’autre, la vulgarité de la vie. D’un côté, la tendresse ; de l’autre, un certain cynisme. D’un côté, les grandes illusions ; de l’autre, la folie et la mort vécues comme l’ultime refuge de la raison. Le plus souvent, c’est au tout dernier moment, à la dernière ligne, que s’opère le passage et que le lecteur est mis dans la confidence d’un secret trop lourd à porter. C’est ce q’on appelle savoir organiser ses chutes. Dans les deux sens du terme.

Michel LAMBERT, 4ème de couverture

Histoire d’amour

Le nom de cette jeune fille aux yeux verts, c’est Perle. Un nom où semble toujours se reposer la mer. Là, trente-deux étages plus bas, la plage et, droit devant, les vagues. Ici, Perle. Elle est debout, elle fixe l’étendue des eaux, elle n’entend pas la rumeur de la fête dans la rue, sur le sable, au bord de la mer. Perle est loin, perdue dans son silence, Perle et ses yeux verts, Perle comme la mer.
Au fond d’elle, la marée monte. Au fond d’elle, la tempête. Perle, folle, amoureuse. Perle, ses yeux et ses cheveux comme les vagues. Perle et la folie des étreintes. Perle, la mort.
Elle ne se souvient plus quand elle l’a rencontré pour la première fois. Cela n’a pas d’importance. La seule impression qui lui reste de ce jour-là, c’est qu’elle l’avait trouvé très beau. «Beau comme le soleil», avait-elle songé sans se rendre compte que toutes les jeunes filles de seize ans doivent en dire autant de leur premier amour.
Aujourd’hui, Perle a vingt ans : elle vient de fêter son anniversaire. Elle est debout, elle regarde la mer, elle tremble. Pourtant, il est là, près d’elle, il la fixe. Cela fait quatre ans qu’il me regarde, pense-t-elle, cela fait quatre ans.
Elle se souvient qu’après l’avoir embrassé, —c’était en été et la mer était bleue—, elle se souvient qu’elle l’avait trouvé moins beau. «Le soleil se couche», avait-elle songé sans se rendre compte que les jeunes filles sont souvent déçues après leur premier baiser.
Perle vient d’ouvrir la fenêtre. En bas, la mer est calme, le soleil descend lentement l’escalier de l’horizon. Perle; ses yeux verts son humides, ses mains tremblent; dans son corps, les coups portés par une tempête sans pardon. Perle l’entend pas la rumeur de la fête; dans la rue, les gens dansent, chantent, se saoulent de bruits, de vins et de couleurs. Perle regarde la mer rouge sang puis, soudain, se penche : sous elle, la fête vacille. Elle se redresse, se retourne, regarde les yeux de son amant qui la fixent au-delà de la mort. Elle tressaille, elle voit le poignard qu’elle lui a planté dans le coeur. Elle n’hésite plus, elle enjambe l’appui de la fenêtre. «Le soleil est couché» songe-t-elle avant de s’écraser dans la liesse populaire.
extrait de Hirondelles, Éditions Bernard Gilson, 1989.
© Frank Andriat.

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