Ce texte tout en douceur, publié en 1997 et réédité pour la troisième fois, est lu dans de nombreuses classes et permet des discussions sur la vie intérieure et sur l’ouverture au monde adulte.
Le sujet
À l’occasion de ses dix-huit ans, Virginie reçoit un petit livre d’un auteur qu’elle ne connaît pas. Bouleversée par sa lecture, la jeune fille décide de vivre moins en surface et entreprend une retraite dans la forêt où elle découvre de nouvelles raisons de vivre.
Ce court roman est une ode à la nature, à l’amour, à la simplicité et à la liberté. Avec grâce, sensualité et poésie, il s’attache à la présence invisible qui habite les êtres et les choses. Dans un style clair, imagé et musical, l’auteur nous promène dans la forêt sauvage, mais soulève également des questions essentielles.
Ce livre est utilisé dans les classes à partir de la 4ème année (3ème en France). Les adolescentes y sont, en général, plus sensibles que les garçons.
La rivière ! Elle est souple et joyeuse. Lumineuse et rapide. Éblouissante à cause des doigts de soleil qui s’étirent dans ses eaux. Où me conduira-t-elle ? Je n’en sais rien et peu importe. Je suis le sens du courant. Je marche plus vite. Un écureuil surpris prend l’ascenseur express d’un bouleau. Il est blotti dans les feuilles avant que j’aie pris le temps de l’observer. Je ne m’attarde pas. J’ai envie d’aller plus loin, d’atteindre une courbe de la rivière où celle-ci me fera découvrir du nouveau, de l’inattendu.
Velours ! Une de vos phrases me hante : Va, va ton chemin, passe de présence en présence; chacune est un maillon du collier de ton coeur. C’est une des premières que j’ai lues de vous, dans le petit livre de quarante pages offert par l’oncle Louis. J’ai l’impression que c’est si vieux alors qu’il y a moins de quinze jours que je sais que vous existez. La vie est surprenante : sans votre livre, je serais sans doute sur la terrasse du Play Boy ou ailleurs, occupée à casser l’ennui en sirotant des cocktails et en lançant des remarques acides sur les vêtements et les corps des passants. Pour frimer, pour plaire aux copains, pour faire partie du groupe et en être acceptée.
La sueur coule dans mon dos. Mon sac humide est plaqué contre ma peau. Il fait très chaud. Le soleil est une roue de moulin qui tourne de plus en plus vite dans le ciel. J’ai mal aux pieds, aux bras. Mes oreilles bourdonnent. Il faut que je me repose.
Depuis quelques centaines de mètres, la rivière se fait plus large. Son parcours est plus calme, plus lisse et, sur ses bords, un gros charme appelle à la sieste. Je m’assieds. Mon tee-shirt est trempé. Je l’enlève et le pose dans l’herbe, au soleil. Il fait tranquille ici; un petit vent doux soulève mes cheveux. Je suis bien. Je regarde l’eau filant tranquillement; la rivière dessine un coude et cela freine son débit.
Velours. Votre nom passe une nouvelle fois dans mon coeur, paisible, caressant. Je me dis d’un coup que vos mains sont aussi tendres que vos mots. Oui ! Et vos lèvres sont des baisers d’eau qui rafraîchissent et qui enivrent. Et vos bras forts pour m’étreindre. Velours. Mon dernier petit ami s’appelait Marc. L’avant-dernier, Jean-Marc. Et un autre, Raphaël. J’ai collectionné les garçons comme des pin’s, comme des curiosités qu’on exhibe. Je les agrafais avant de m’en débarrasser, quelques semaines, voire quelques jours ou quelques heures après, avec dédain. Velours. Ça fait longtemps que je n’ai plus connu de caresses.
D’un coup, je sais. Je me déshabille vite. Pour ne pas hésiter, pour ne pas revenir en arrière. Je me glisse nue dans l’onde fraîche de la rivière. Je nage; l’eau pétille sous mes bras, entre mes jambes. Elle est plus chaude que je ne le croyais. Et, ici, la rivière n’est pas profonde : si je m’agenouille sur les cailloux de son lit, ma tête et mes épaules sortent encore de l’eau. Je me couche sur le dos, je me remets sur le ventre, je me laisse aller aux caprices du flot caressant. L’eau trouve entre mes seins une gorge où se faufiler et, de là, m’inonde de sa fraîcheur bondissante. Velours. Je plonge, je joue au saumon qui remonte le courant et je dessine à la rivière un décolleté provocant.
Ah, les deux garces ! Nous nous sentons bien aise de nous savoir coquines et tentantes. La rivière s’amuse avec moi: nous sommes deux soeurs qui se jouent l’une de l’autre. Viens, attrape-moi ! Viens, je me laisse prendre ! Vu de l’eau, le soleil a la transparence du cristal; il accompagne notre ballet mouvant. Mais elle est forte, l’onde, avec ses mains multiples contre mes dix doigts fins. J’abandonne la partie, je reviens vers la rive où je m’étends doucement.
extrait de La forêt plénitude, © Éditions Memor, 1997.