Réédition chez Mijade, Namur, 2008
Sélection dans The White Ravens 2009 de l’Internationale Jugendbibliothek de Munich
Sélection au Prix Farniente 2010.
Prix Paul Hurtmans 2012 (14/16 ans).
Ce roman polyphonique, d’une criante actualité, raconte le massacre gratuit de tout un village par l’armée d’un dictateur. Quatre rescapés tentent, des années plus tard, de faire juger et condamner les responsables de l’horreur. L’histoire est à la fois racontée par les jeunes qui ont réussi à fuir et par les morts, ce qui ajoute au texte une dimension fantastique.
Le sujet
Les morts parlent, racontent le massacre dont ils ont été les victimes et se comptent pour savoir si quelques-uns d’entre eux en ont réchappé. Ils retrouvent, dans la mort, leurs amours, leurs querelles, un peu comme s’ils étaient toujours vivants. Dans la nature, au-dessus de la fosse où tout les villageois ont été jetés par des salauds, Eusebia et son petit frère, Pepito, Antonio et Paco fuient, finissent par se retrouver et par avoir le courage de rechercher, pour les confondre, les coupables de l’horreur.
Ce roman est utilisé dans les classes à partir de la 4ème année du cycle secondaire (3ème en France).
Ils sont arrivés à l’aube. Nous venions de nous lever et nous nous apprêtions à nous rendre sur nos terres. Ils ont cerné le village et celui qui devait être leur chef a exigé de voir le maire. Quand Arturo Mejon est sorti de chez lui, deux soldats lui ont bourré les reins à coups de crosse et il s’est retrouvé couché aux pieds d’un petit sec, leur capitaine, qui le fixait triomphalement et qui a hurlé : «Qui, ici, fait partie de la guérilla ? Parle, chien, si tu ne veux pas souffrir !» Tu t’es levé, Arturo et tu as dit : «Nous n’avons jamais entendu parler de guérilla dans ce village.» Le capitaine a eu un geste et ses soldats ont amené cinq jeunes filles: Francisca Gomez, Valentina Del Rio, Nina Tamaño, Maria Nuñez et Anabella Rodriguez. «Pas de guérilla au village ?» a-t-il demandé et, à l’instant où le maire lui a répondu non, nous avons entendu des coups de feu et nous avons vu les cinq corps s’écrouler sur le sol en un cri.
Nous étions pétrifiés. Arturo a été le premier à agir. «Vous êtes des assassins!» a-t-il lancé. Quatre soldats l’ont saisi et l’ont couché par terre; pendant qu’ils le maintenaient au sol, un cinquième, armé d’une hache, lui a tranché les pieds et les mains. Alors, ça a été le délire : nous avons soudain pris conscience que l’impossible était réel. Certains ont tenté de fuir, d’autres se sont réfugiés chez eux, mais les soldats tiraient, tiraient, tiraient, pénétraient dans les maisons, y lançaient des torches, malgré les cris des vieillards, des mères et des enfants, malgré les hurlements des femmes violées et la colère des hommes qui se jetaient désespérés contre les balles assassines.
Pour effacer la vie, il leur a fallu moins d’une heure.
Quand ils ont eu assouvi leur barbarie, quand, maculés de sang, de chairs déchirées et d’os broyés, ils se sont accordé une pause, leur capitaine a crié : «Pas de trace, je ne veux aucune trace.» Alors, les soldats se sont mis à l’ouvrage et ont creusé cette énorme fosse où ils nous ont jetés. Le trou n’a pas été recouvert tout de suite; ceux qui faisaient partie de la couche supérieure et qui avaient les yeux ouverts ont vu le village disparaître dans les flammes. Ensuite, un groupe de soldats armés de pelles s’est approché de nous. Ils nous ont recouverts d’une terre lourde, rouge et visqueuse. Certains blaguaient, d’autres riaient. De notre village il ne restait qu’une tache de cendres.
Aurore barbare, pp. 15-17.