La notification

Bernard Gilson Éditeur, Bruxelles, 2010.
Prix Gilles Nélod de l’Association des Écrivains Belges

Dans ce récit inspiré de La Modification de Michel Butor, tout démarre dans un train. Le narrateur quitte sa femme à Bordeaux pour rejoindre sa maîtresse à Luxembourg, comme il le fait régulièrement depuis plusieurs mois. Cette fois-ci, pourtant, tout ne se déroule pas comme prévu et son voyage se transforme en une série de péripéties plus inattendues les unes que les autres. Quand, enfin, il atteint Luxembourg, le héros découvre que, malgré les lignes droites qu’elle trace, la vie peut aussi faire des détours. À la vitesse d’un TGV.

Portrait d’un homme trompeur, ce texte est aussi un délicieux portrait de femmes, Céline à Bordeaux, Harriet à Luxembourg. Écrit avec volupté et humour, il nous offre une nouvelle facette du talent multiple de Frank Andriat.

Prix Gilles Nélod de l’Association des Écrivains Belges

PRIX GILLES NÉLOD 2009

pour

LA NOTIFICATION,  nouvelle de FRANK ANDRIAT

Présentation de Dominique Aguessy

***

         La nouvelle, si elle suscite encore peu de vocations exclusives parmi les auteurs, retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse. Genre littéraire, un certain temps,en relative désaffection de la part des éditeurs, elle conquiert un regain d’attention. La maison d’édition Quadrature, créée en 2005 et installée à Louvain-la-Neuve, a choisi de se consacrer uniquement à la nouvelle.

Dans ce contexte, le Prix Gilles Nélod s’auréole de mérites nouveaux.

I –  La nouvelle de Frank Andriat, La notification, nous invite à la lecture d’un texte où le dilettantisme courtois, côtoie l’humour parfois tragique mais jamais grave, où un air de ne pas y toucher crée d’emblée  une connivence avec le lecteur. L’histoire commence par un fait divers qui aurait pu faire la une de la presse régionale : le retard du train TGV de Bordeaux St-Jean à Paris Montparnasse. Événement,  oh combien perturbateur !

L’auteur en  tire une histoire à rebondissements, menée avec brio jusqu’à son dénouement inattendu.

Un récit épinglé sur le canevas transparent de l’intrigue amoureuse. Amoureuse ? Rien n’est moins sûr.

Écoutons Frank Andriat :

« À votre gauche, un homme plus jeune que vous, planté devant l’écran de son portable, fasciné par un film policier d’après les coups de feu qui sortent des écouteurs enfoncés dans ses oreilles. Devant vous, une belle jeune femme, à qui, si vous aviez dix ans de moins, vous auriez peut-être adressé la parole. Vous ne dites rien parce qu’aujourd’hui, Céline et Harriet vous suffisent et que vous ne pourriez pas vous éparpiller davantage. Votre sens de l’économie, votre vie bien réglée vous offrent un équilibre que vous n’avez plus envie de mettre en danger pour l’incendie d’une aventure. Vous ne bougez pas non plus parce que, chaque fois que vous quittez Bordeaux pour Luxembourg, vous allez dans le sens du repos, de la quiétude dont l’énergie pétulante de Céline vous éloigne. On ne s’adresse pas aux jeunes femmes séduisantes lorsqu’on désire avant tout apaiser ses nerfs.»

L’auteur joue avec humour sur les stéréotypes.

Rompu à l’art d’observer, Frank Andriat s’applique à disséquer le quotidien de cet homme, en proie à ses mirages, à la poursuite d’illusions. L’auteur s’adresse à lui en le nommant « vous » sans autre patronyme, soulignant ainsi le flou où se noie le personnage. Un personnage hésitant, peu sûr de lui.

Un mélange de sérieux et de trivialité le dépeint  en nomade entre peurs et désirs.

« Avec Harriet, c’est le désert. Vous devez sans cesse chercher de nouvelles ressources en vous pour éviter qu’elle vous échappe. Elle accepte vos visites chez elle une fois par mois, mais vous oublieriez de la rejoindre qu’elle omettrait de vous appeler pour savoir pourquoi vous n’êtes pas venu. À Paris, lors de votre première rencontre, vous avez invité Harriet au restaurant et, après le café, comme si c’était naturel, elle a accepté de vous accompagner dans votre chambre d’hôtel. Elle a enfin ôté ce gilet gris qui ne l’avait pas quittée depuis le Pont des Arts. Elle a méticuleusement rangé ses vêtements sur une chaise avant de se laisser prendre. « Fais  vite,  a-t-elle dit, j’ai mon train à Paris – Est dans deux heures et demie et il faut que je repasse par mon hôtel pour récupérer ma valise ».

         Parce que vous n’aviez jamais rencontré une femme qui avait cette qualité d’absence, vous avez voulu la revoir. Elle vous a souri, «Pourquoi pas ? »,vous a tendu ses lèvres, a piqué dans son sac, une carte de visite, vous l’a tendue et est sortie de la chambre. Il y a plus de six mois de cela. Depuis, vous traversez la France, une fois par mois, quittant Céline pour rejoindre Harriet et rentrant ensuite chez la première qui ne se doute pas, du moins, vous l’espérez, de l’existence de la deuxième »

II – Comédie sentimentale de la banalité, nous aurions pu craindre une histoire de tromperies et de séparations entre quadragénaires ne parvenant pas à vieillir. Mais tombent bien vite les clichés. L’écrivain est là, avec son style visuel, l’ironie et l’acuité de son regard.

Avec une maîtrise remarquable de la mise en scène des personnages, Frank Andriat nous présente cette tragi-comédie, comme un jeu de miroir, entre deux femmes, Céline à Bordeaux, Harriet à Luxembourg. Chacune portant avec elle, un reflet de l’autre. Portrait de femmes en pointillé. Sans que leurs images ne se confondent vraiment, le lecteur découvrira avec étonnement, qu’au lieu d’être antagonistes, elles pâtissent d’un fonctionnement partagé, qui annonce une issue totalement incongrue

Le lecteur se surprend à suivre l’écoulement de cette prose, mot à mot, avec une certaine anxiété. Chaque pause dans le récit, description par exemple du labrador au pied de la jeune fille assise en face du personnage dans le train, annonce une nouvelle tension.

Une écriture calme, envoûtante. Des phrases qui se fichent en vous comme un aimanté d’aiguilles. Des phrases piquantes et utiles.

« Il n’est pas bon de mentir, vous le savez, et Céline est perspicace malgré tout. Vous souriez en vous-même : vous prenez toujours garde de bien vider vos poches, de vérifier si Harriet n’a laissé aucun cheveu ou aucune trace de parfum sur votre veste et, d’ailleurs, pourquoi Céline s’inquiéterait-elle de vos allées et venues à Luxembourg ? Ça fait des années que vous devez vous rendre au Grand Duché pour le travail. La vie fait parfois bien les choses : Harriet aurait vécu à Bruxelles ou à Londres, voire à Bordeaux même que votre relation aurait été beaucoup plus difficile. Luxembourg ! Vous vous souvenez encore de votre émoi joyeux quand Harriet vous a appris qu’elle résidait et qu’elle travaillait dans cette cité de banques ! Pour peu, vous auriez cru en Dieu ! »

III – Privilégiant la brièveté et l’ellipse, maniant avec subtilité l’art de l’esquive et de la mise à distance,  Frank Andriat s’inscrit dans la grande tradition de la Nouvelle, de James, Melville, Poe, Hemingway, à Pouchkine, Gogol et plus près de nous, Doris Lessing,  Italo Calvino, Antonio Tabucchi, Thomas Gunzig. Est-il meilleur hommage au talent de l’auteur ?

Nous connaissions Frank Andriat  pour ses nombreux ouvrages destinés à la Jeunesse publiés chez Grasset-Jeunesse,  Depuis la mort, Mon pire ami, Voleur de vies, A moitié vide, ses romans sur l’adolescence,  Rue Josaphat, Addo blues, Rose bonbon, noir goudron, pour n’en citer que quelques uns.  Il avait déjà surpris ses lecteurs fidèles, parmi lesquels je me compte, en publiant chez Desclée de Brouwer, Avec l’Intime.

Il nous offre aujourd’hui, en écrivant La notification un moment de littérature qui ne s’oublie pas. Le jury lui a décerné le Prix Gilles Nélod de la Nouvelle.

                                                     Dominique Aguessy

                                                     3 octobre 2009

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